La spéculation alimentaire : une affaire de blé qui aggrave l’inflation et la précarité
En pleine crise d’inflation sur les prix alimentaires et à l’occasion de la Journée mondiale contre la faim le 15 juin, le CCFD-Terre Solidaire et foodwatch tapent du poing sur la table face aux pratiques des spéculateurs qui profitent des crises et qui aggravent la précarité alimentaire, en tirant les prix des matières premières agricoles et de nos aliments vers le haut. Il est temps de fixer des règles contre les abus de spéculateurs de la faim. Analyse et action.
Les spéculateurs de la faim, des acteurs de l’ombre en période d’inflation
Pendant que les consommateurs et consommatrices subissent une inflation alimentaire record de près de 15% sur la dernière année, ce n’est visiblement pas la crise pour tout le monde… En amont des fabricants et des distributeurs, des acteurs financiers invisibles pour le grand public font la pluie et le beau temps sur les prix des matières premières agricoles.
Ces acteurs, ce sont des banques, des fonds d’investissements, des assurances qui profitent de l’opacité et de l’absence de régulations pour spéculer sur les matières premières alimentaires. Pire encore, les différentes crises sont pour eux une opportunité de tirer leur épingle du jeu pour se faire un maximum de blé ! D’ailleurs, Soulcié avait réalisé pour foodwatch une BD décapante qui expliquait les ressorts et les conséquences de la spéculation alimentaire.
Les marchés financiers : de la création pour les acteurs commerciaux à la main mise des spéculateurs
Si les prix alimentaires grimpent, ce n’est pas seulement à cause de la sortie de la pandémie COVID-19 ou de l’agression russe en Ukraine : la spéculation excessive et dérégulée sur les matières premières agricoles fait aussi partie des causes de l’inflation.
Afin de mettre un coup de projecteur sur ces pratiques scandaleuses, le CCFD-Terre Solidaire a analysé le poids de ces acteurs financiers sur les cours du blé sur le marché international de France - le MATIF. Le constat est sans appel : en juin 2022, ce sont près de 70% des achats sur le marché du blé qui ont été effectués par des acteurs financiers et 80% des achats étaient purement spéculatifs.
À l’origine, des marchés financiers comme le MATIF (appelés marchés à terme ou marchés papiers) ont vocation à servir d’assurance prix aux acteurs commerciaux, qui produisent effectivement les matières premières agricoles. Dans le cadre de ce marché, les acteurs négocient à l’avance le prix de futures livraisons, afin de ne pas subir les variations de prix du marché physique.
Malheureusement, la volatilité des prix des matières premières agricoles sur ces marchés a progressivement attiré de plus en plus d’acteurs financiers pour spéculer sans aucun scrupule : plus les prix fluctuent, plus les acteurs financiers sur ces marchés peuvent effectuer des paris à la hausse ou à la baisse, et empocher des gains.
Ainsi, d’après le CCFD-Terre Solidaire, entre janvier 2020 et septembre 2022, les acteurs financiers sont devenus largement majoritaires sur le marché du blé européen. Cette mainmise des acteurs financiers a des conséquences concrètes sur l’évolution des prix : leur investissement massif sur des achats peut créer une hausse artificielle de la demande, et tirer les prix vers le haut, au détriment de la sécurité alimentaire.
Profits records VS précarité alimentaire
Force est de constater que les mesures mises en place ces dernières années pour réguler ces activités spéculatives ne sont pas à la hauteur. Il se négocie aujourd’hui des volumes jusqu’à plusieurs dizaines de fois les volumes réels de marchandises existantes, et les plafonds sont encore trop élevés pour limiter l’emballement des marchés. Ainsi, comme en 2008 et en 2011, la crise alimentaire de 2022 demeure une opportunité d’engranger un maximum de gains en spéculant sur la faim.
En spéculant, ces acteurs captent une partie de la valeur de l’alimentation en pariant sur un sujet aussi crucial que celui de la sécurité alimentaire. Avec à la clé des profits records : selon une enquête du Lighthouse d’avril 2023, les dix plus gros fonds d’investissements présents sur les marchés financiers des céréales et du soja ont réalisé près de 2 milliards de dollars de profits au premier trimestre 2022 à l’échelle mondiale, et les vingt plus grosses entreprises agroalimentaires ont également réalisé des profits records sur les deux dernières années, en distribuant plus de 53 milliards de dollars à leurs actionnaires.
Une régulation de ces pratiques est urgente, car elle a des conséquences dramatiques : en contribuant à augmenter les prix des matière premières agricoles comme les céréales, les activités spéculatives rendent inaccessibles un grand nombre de produits alimentaires et aggravent la précarité alimentaire. En bout de chaîne, ce sont les ménages les plus modestes et les pays dépendants de ces importations qui paient les pots cassés. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : aujourd’hui en France, 1 personne sur 6 déclare ne pas manger à sa faim et 10% de la population mondiale est sous-alimentée. Une situation tout simplement inacceptable !
Face au manque de volonté politique, continuons de faire pression !
Depuis plusieurs années, le CCFD-Terre Solidaire et foodwatch dénoncent la financiarisation de l’alimentation. Malgré notre interpellation, qui a déjà réuni plus de 110 000 citoyennes et citoyens, le manque d’action et de mesures fortes est pour le moment assourdissant du côté des instances politiques, européennes comme françaises.
Mais voici une bonne nouvelle, une opportunité se dessine au niveau européen et la France a un rôle important à jouer : actuellement, les dernières négociations entre la Commission, le Conseil et le Parlement européens sont en cours au sujet de la Directive européenne sur la régulation des marchés financiers, de son noble nom MIFID 2. La France doit encourager une réforme ambitieuse afin que des mesures de régulation efficaces soient adoptées.
Des solutions existent et ne demandent que de la volonté politique pour être mises en œuvre : la baisse des limites de positions pour stopper la spéculation excessive ; l’exclusion ou la restriction d’accès des investisseurs financiers qui spéculent de manière excessive sur ces marchés ; une transparence accrue de ces marchés afin de pouvoir identifier les acteurs qui y prennent part et de mieux évaluer comment leurs activités contribuent aux variations des prix alimentaires.
Rapport 2023 "Inflation: quand les spéculateurs profitent de la crise alimentaire"
Dans un contexte inquiétant d’inflation des prix alimentaires, le CCFD-Terre Solidaire et Foodwatch braquent les projecteurs sur les pratiques inacceptables des spéculateurs qui tirent profit de la crise et aggravent la précarité alimentaire, en France et dans le monde.
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