Que de rebondissements ces dernières semaines dans l’affaire des eaux en bouteille filtrées illégalement par le groupe Sources Alma - Cristaline, Vichy Célestins, St-Yorre, Chateldon - et Nestlé Waters - Perrier, Vittel, Hépar, Contrex, etc. Les informations continuent de nous parvenir au fil de l’eau grâce aux révélations de la presse et au travail de la Commission d’enquête sur les eaux en bouteille au Sénat, dans le cadre de laquelle notre association a été auditionnée. Clairement, nous ne sommes pas encore au bout de cette histoire de fraude massive…
L’eau Perrier, à nouveau contaminée
Il y a quelques jours, on apprenait par France Info que « des bactéries pathogènes de l'intestin (entérobactéries) ont été retrouvées dans l'eau des bouteilles de Perrier (75 centilitres), au sein de l'usine du Gard, située à Vergèze où est produite la célèbre marque. (...) Problème : l'entreprise Nestlé n'a pas, comme le code de la santé publique le lui impose, prévenu immédiatement les autorités sanitaires ».
L’Agence régionale de santé (ARS) d'Occitanie préconise donc purement et simplement le retrait du label "eau minérale naturelle" des bouteilles d’eau Perrier car elle n’en présente plus les caractéristiques définies par la réglementation. A l’heure où nous rédigeons ces lignes, la production de Perrier est à l’arrêt et des centaines de milliers de bouteilles pourraient être détruites.
Ce n’est pas la première fois que les autorités sanitaires épinglent Perrier. En avril 2024 déjà, près de 3 millions de bouteilles de Perrier avaient dû être détruites qui faisaient « courir un risque pour la santé des consommateurs » selon le préfet du Gard suite à un épisode de contamination d'origine fécale (coliformes, Escherichia coli). Sans l’intervention des autorités, ces bouteilles de Perrier auraient-elles été commercialisées comme si de rien n’était ?
Des matières fécales dans l’eau Hépar
Et ce n’est pas tout. La source qui alimente les eaux Contrex et Hépar contient bien plus que les minéraux vantés sur l’étiquette des bouteilles. « Plus de sept fois par an, l’eau qui alimente 50% des bouteilles Hépar contient des matières fécales », écrit Mediapart dans son article du 9 avril 2025. « L’une des principales sources de Contrex est, elle aussi, polluée 85 semaines sur 116 ».
Les ingénieurs de Nestlé reconnaissent d’ailleurs dans une note interne que Mediapart s’est procuré que « la qualité microbiologique de l’eau brute (Hépar et Contrex) et les procédés mis en place ne sont pas conformes à la réglementation française sur les eaux minérales naturelles ». Le rapport qualifie carrément « le risque de ‘critique’, soit le degré le plus élevé dans le système de notation des dangers par la firme », explique Mediapart.
Eaux en bouteille filtrées illégalement : Matignon et l’Elysée ont permis à Nestlé Waters de frauder, l’affaire fait tâche d’huile en Europe
Nestlé va tout de même commercialiser ses bouteilles d’Hépar à l’origine particulièrement contaminées, et ce avec l’aval de conseillers à Matignon qui ont rencontré l’entreprise à plusieurs reprises, révèlent les journalistes d’investigation. L’Elysée validera même le recours à des dispositifs de microfiltration à 0,2 micron -en dehors de tout cadre réglementaire - et permettra ainsi à Nestlé Waters de frauder pendant des mois. « L'Élysée savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis des années », assure le rapporteur de la Commission d’enquête sénatoriale sur le sujet.
Le gouvernement français était donc au courant de la fraude mais n’a pas jugé utile de donner l’information à la Commission européenne et aux autres Etats membres de l’Europe qui vendent sans le savoir ces bouteilles d’eau frauduleuses. En Suisse, une enquête vise d’ailleurs la multinationale pour des faits similaires et des perquisitions ont eu lieu chez Nestlé en Belgique il y a quelques semaines.
Dans le monde, les marchés frémissent. Nestlé cherche des partenaires prêts à investir dans sa filiale eaux. Les employés de Perrier vont-ils perdre leur emploi comme ceux de Buitoni après le scandale des pizzas contaminées ? Il serait évidemment choquant qu’ils paient le prix de la mauvaise gestion du risque par la multinationale qui savait très bien qu’elle agissait en toute illégalité.
Commission d’enquête sur les eaux en bouteille : branle-bas de combat au Sénat
Convoqué pour venir s’expliquer devant la Commission d’enquête sur les eaux en bouteille au Sénat, le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, ne s’est pas présenté. Pour le rapporteur et sénateur Alexandre Ouizille, c’est un « affront à la représentation nationale » et un « refus d'aller au bout de la vérité devant les Français ». Il a donc promis qu’il publierait tous les échanges entre Nestlé et la présidence de la République lors de la publication de son rapport annoncé pour la deuxième moitié de mai 2025.
Parce que Foodwatch a porté plainte dans cette affaire, nous avons été auditionnés devant la Commission d’enquête au Sénat qui vise à comprendre comment ce scandale a pu se produire (voir le replay). Nous vous tiendrons bien sûr informé·es des conclusions du rapport sénatorial.
Les auditions des dirigeants de Sources Alma et de Nestlé Waters n’ont pas apporté la lumière tant attendue. Ils ont fait mine de ne pas savoir. Depuis quand tout cela dure-t-il ? Les bouteilles frauduleuses sont-elles toujours sur le marché ? Mystère. Selon l’ancienne directrice de Nestlé Waters « l'expérience consommateur n'avait en rien été impactée par ces traitements ». (sic)
Certes, Nestlé fournit de nombreux emplois, mais est-ce que cela lui donne le droit de se considérer au-dessus des lois ? Le directeur général de Nestlé, dans une interview donnée à la télévision suisse il y a quelques semaines, n’a pas caché sa détermination à faire changer les lois pour « mettre la réglementation en adéquation avec les pratiques de l'industrie ». Nestlé ne parvient plus à se plier à la réglementation ? Changeons-la. Une approche culottée et évidemment inacceptable .
Le directeur de Sources Alma – qui commercialise notamment Cristaline, Chateldon, St Yorre, Vichy Célestins – a, lui, nié en bloc tout procédé illégal. Plutôt gonflé car nous, Foodwatch, détenons les preuves que l’entreprise a ajouté depuis les années 80 du sulfate de fer pour traiter les eaux de ses sites de St-Yorre et Vichy Célestins pour se débarrasser de l’arsenic, souvent présent dans l’eau, et qui doit normalement décanter naturellement.
Sources Alma a également ajouté du gaz carbonique dans son eau « d’exception » Chateldon soi-disant ‘naturellement gazeuse’ depuis au moins 2008, sans jamais en informer les consommatrices et consommateurs bien entendu. Le directeur a minimisé en parlant d’« écart à la réglementation » et a attaqué les médias et lanceurs d’alerte grâce auxquels nous avons découvert ce scandale.
Une saga judiciaire initiée par Foodwatch face aux pratiques illégales des géants de l’eau en bouteille
Filtrer des eaux contaminées – aux matières fécales, contaminants éternels (PFAS), bactéries E.coli notamment – puis les vendre en bouteilles comme si de rien n’était, c’est interdit par la réglementation européenne. Car cela revient finalement à leur appliquer des traitements comme pour l’eau du robinet... mais en la vendant beaucoup plus cher et en la faisant passer pour « minérale naturelle ». C’est évidemment illégal.
Nous avons porté plainte dans cette affaire de fraude massive une première fois au pénal en février 2024 puis à nouveau en septembre dernier, cette fois avec constitution de partie civile. Alors que ce n’était vraiment pas gagné – un tribunal à Epinal nous avait proposé d’accepter un chèque de Nestlé pour qu’on n’en parle plus, ce que nous avons refusé – notre nouvelle plainte a été prise très au sérieux, cette fois par des juges du tribunal judiciaire de Paris.
La bonne nouvelle, c’est qu’une information judiciaire est ouverte depuis février 2025 ; cela signifie que des juges vont donc enquêter sur les infractions pointées du doigt dans notre plainte. Et elles sont nombreuses.
Nous sommes confiants dans le travail de la justice.
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