Communiqués de presse 21.02.2023

Le lobby des pesticides a-t-il eu recours à un chantage à l’emploi mensonger ? 4 organisations signalent un possible manquement de Phyteis à ses obligations déontologiques

Phyteis a-t-il menti pour convaincre ? C’est la question que pose une opération de lobbying menée en 2019 par l’Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP, renommée Phyteis le 9 février 2022) pour tenter d’obtenir l’abrogation d’une mesure d’interdiction de production de certains pesticides contenue dans la Loi Egalim votée en 2018. Le lobby des pesticides avait alerté sénateurs et députés sur les « 2.700 emplois directs et 1.000 emplois indirects » mis en péril par cette interdiction qui est finalement bien entrée en vigueur. Selon un article publié par Médiapart, le chiffre aurait été délibérément « gonflé » par le lobby pour mieux convaincre les parlementaires. foodwatch, l’Institut Veblen, Les Amis de la Terre France et Transparency International France signalent à la HATVP et aux autorités déontologiques parlementaires un possible manquement du lobby des pesticides à ses obligations déontologiques, et invitent les parlementaires à saisir ces dernières.

Tous les moyens ne sont pas bons pour convaincre les parlementaires. Les lobbyistes sont soumis à des obligations déontologiques pour veiller à la qualité du débat public. L’article 18-5 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, dispose que les représentants d'intérêts doivent « S'abstenir d'obtenir ou d'essayer d'obtenir des informations ou décisions en communiquant délibérément à ces personnes des informations erronées ou en recourant à des manœuvres destinées à les tromper ». Des dispositions similaires sont inscrites dans les chartes de déontologie des représentants d’intérêts du Sénat et de l’Assemblée nationale. En clair, les représentants d’intérêts n’ont pas le droit de mentir délibérément à leurs cibles pour les manipuler et obtenir d’eux des votes servant les intérêts qu’ils ont la charge de représenter. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), le déontologue de l’Assemblée nationale ou le comité de déontologie du Sénat sont les garants de ces règles. 

Un article de la journaliste Pauline Chambost, publié initialement dans le media local Le Poulpe puis repris par Mediapart le 5 janvier 2023, laisse entendre que les donnée utilisées par le lobby des pesticides pour convaincre les parlementaires en 2019 - 2700 emplois directs menacés sur 19 sites détenus par 12 entreprises - étaient trop loin de la réalité pour être de simples erreurs ou estimations pessimistes. Ces données ont pourtant produit un effet de dramatisation des enjeux locaux permettant de convaincre plus facilement les élus dont les circonscriptions hébergent les sites concernés. Une technique efficace puisque les chiffres de l’UIPP ont été repris tels quels en séance et dans des amendements déposés par plusieurs députés et sénateurs et relayés aussi par l’exécutif. 

« Opposer des arguments économiques ou du chantage à l’emploi face à des enjeux de santé publique est une stratégie que l’on ne connait que trop bien. Les lobbies des pesticides n’hésitent pas à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour bloquer tout renforcement des règles car ils voient dans ces mesures des entraves à leur business juteux », commente Karine Jacquemart, directrice de foodwatch. 

Pour Juliette Renaud, responsable de campagne aux Amis de la Terre France, "Ce scandale montre une fois de plus que les lobbies sont prêts à tout pour défendre leurs intérêts privés, au détriment des populations, des travailleur·ses et de l'environnement. Le chantage à l'emploi est un argument classique utilisé en lobbying, mais ce n'est pas le seul exemple d'informations trompeuses mises en avant par les lobbies pour convaincre les décideurs politiques. Il est grand temps de réguler strictement le lobbying pour mettre fin à ces influences néfastes !"

Mathilde Dupré, co directrice de l’Institut Veblen souligne : « Les lobbies industriels opposent inlassablement l’emploi et les politiques de transition écologique, comme si la destruction de l’environnement et les atteintes à la santé des consommateurs et des travailleurs étaient un mal nécessaire pour lutter contre le chômage de masse. C’est une forme éhontée de chantage à l’emploi que les législateurs doivent récuser. D’ailleurs la transition écologique créé de nouveaux emplois tous les jours. »

Et Patrick Lefas, président de Transparency International France, de conclure « Le lobbying ne peut avoir sa place dans la démocratie que s’il respecte des principes de transparence, d’équité et surtout d’intégrité. S’il est normal que les représentant d’intérêts puissent alerter les décideurs publics, en l’espèce les parlementaires, des conséquences possibles de leurs décisions, il est intolérable que ces conséquences soient délibérément exagérées, voire purement et simplement construites artificiellement par les lobbyistes pour tenter d’emporter la décision. Le travail de conviction ne peut se faire qu’avec sincérité et sérieux. »  

Documents

•    Signalement d’un possible manquement du représentant d’intérêts Phyteis à son obligation déontologique de sincérité, par Transparency International, Les Amis de la Terre, foodwatch, Institut Veblen, 21 février 2022
•    Lettre de signalement au président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique
•    Lettre au comité de déontologie parlementaire du Sénat
•    Lettre au déontologue de l’Assemblée nationale

Les organisations signataires du signalement


Transparency International France

Transparency International France est la section française de Transparency International, un mouvement mondial de lutte contre la corruption sous toutes ses formes. Pour Transparency France, le lobbying peut s’inscrire dans la démocratie à condition qu’il soit transparent, intègre et équitable. La promotion de l’intégrité du lobbying est donc un des objectifs de plaidoyer de l’association

Les Amis de la Terre France

Les Amis de la Terre France sont une association de protection des droits humains et de l’environnement, à but non lucratif, indépendante de tout pouvoir politique ou religieux. Créée en 1970, elle a contribué à la fondation du mouvement écologiste français et à la formation du premier réseau écologiste mondial – Friends of the Earth International – présent dans 75 pays et réunissant 2 millions de membres sur les cinq continents. Le réseau des Amis de la Terre France lutte contre l'impunité des multinationales et pour l'encadrement de leurs activités de lobbying.

foodwatch

foodwatch est une organisation à but non lucratif qui se bat pour une alimentation sans risques, saine et abordable pour tous et toutes. Elle milite pour plus de transparence dans le secteur alimentaire, et défend le droit à une alimentation qui ne porte atteinte ni aux personnes, ni à l’environnement. Foodwatch, présente dans cinq pays européens dont la France, est un contre-pouvoir citoyen et lanceur d’alerte dans le secteur alimentaire.

Institut Veblen

L’Institut Veblen pour les réformes économiques est une association à but non lucratif, créée en 2010 qui œuvre pour une société dans laquelle le respect des limites physiques de la planète va de pair avec une économie inclusive et plus démocratique. Dans le cadre de ses activités, l’Institut Veblen a maintes fois expérimenté à quel point la transparence et l’encadrement des activités de lobbying sont des conditions nécessaires à la tenue d'un débat public éclairé et sincère sur la transition écologique et sociale. C’est pourquoi, il a également intégré cette question comme un objectif de plaidoyer à part entière.