Scandale des eaux en bouteilles filtrées : la Commission européenne critique sévèrement les autorités françaises, foodwatch demande un électrochoc pour protéger les consommateurs
Dans le scandale des eaux en bouteilles traitées illégalement et commercialisées dans de nombreux pays, foodwatch avait demandé dès mi-février à la Commission européenne qu’elle vérifie comment les autorités françaises ont traité ce dossier car la presse avait révélé que le gouvernement était au courant. La Commission a répondu favorablement à cette demande de transparence. Le rapport des auditeurs européens publié ce 24 juillet dresse un constat sévère sur la gestion de cette affaire. Pour foodwatch, qui a aussi porté plainte au pénal pour faire toute la lumière sur la fraude massive par de grands groupes comme Nestlé et sources Alma mais aussi pour interroger la responsabilité de l’Etat, ce rapport européen confirme ce qu’elle dénonce à chaque scandale : opacité pour les consommateurs et consommatrices, manque de contrôles des autorités et impunité pour les multinationales. En attendant les conclusions de la justice, foodwatch réclame une réponse politique forte face à ces fraudes massives.
Des eaux en bouteille de grandes marques – Perrier, Vittel, Contrex, Cristaline, etc. - ont subi des traitements illégaux sans que les consommateurs et consommatrices n’en soient jamais informé.es. foodwatch a porté plainte dans cette affaire et a demandé à la Commission européenne de contrôler l’application du droit de l’Union par les États membres.
Le premier résultat visible de cette réponse politique visant à protéger les consommateurs est un rapport d’audit sévère publié ce 24 juillet par la Direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne sur la façon dont les autorités ont géré les contrôles sur les eaux minérales et eaux de source : « Des enquêtes ont été menées auprès des opérateurs qui avaient utilisé des traitements frauduleux, et certains d'entre eux font l'objet de poursuites judiciaires. Toutefois, les autorités compétentes n'ont pas pris d'autres mesures d'exécution (information des consommateurs, retrait du produit incorrectement étiqueté, etc.) à l'encontre de l'opérateur qui a commercialisé illégalement et pendant des décennies des eaux en tant qu'eaux naturelles, alors qu'elles ne remplissaient plus les conditions légales requises pour être commercialisées en tant que telles ».
En substance, ce rapport européen confirme les premières révélations du Monde et de France Info et épingle la responsabilité des autorités compétentes : « C’est encore pire que ce que l’on soupçonnait », a immédiatement réagi foodwatch qui salue la réactivité de la Commission européenne dans cette affaire des eaux traitées illégalement. L’information révélée par Mediapart récemment sur l’ampleur du scandale est aussi confirmée dans le rapport européen : la fraude dure depuis des décennies. Et ces fraudes pourraient perdurer car : « Le système de contrôle officiel en place en France n'est ni conçu pour détecter ni pour atténuer la fraude dans le secteur des eaux minérales naturelles et des eaux de source. Il n'est pas non plus correctement appliqué, ce qui rend possible la présence sur le marché de produits non conformes et potentiellement frauduleux ».
Pour l’organisation européenne foodwatch : « Ce rapport d’audit européen est un sérieux avertissement pour toutes les autorités compétentes dans chaque Etat membre. Il illustre comment l’insuffisance des contrôles favorise un climat d’impunité au sein de certaines multinationales qui commercialisent des produits frauduleux pendant des années en Europe et dans le monde sans être inquiétées. Ce laisser-faire doit cesser : c’est la raison pour laquelle notre plainte cible à la fois les entreprises et les autorités. Nous demandons un électrochoc politique pour redonner confiance aux consommateurs et consommatrices ».
Le rapport d’audit européen confirme, en pire, ce que foodwatch craignait :
Les manquements des autorités : « Le rapport conclut qu'il existe un système de contrôle officiel des eaux minérales naturelles et des eaux de source, étayé par un plan de surveillance et des capacités de laboratoire adéquates. Toutefois, l'audit a mis en évidence de graves lacunes qui entravent la mise en œuvre du système de contrôle officiel. Il s'agit notamment de :
- l'absence d'inspections officielles régulières fondées sur les risques, à une fréquence définie ;
- une collaboration insuffisante entre les autorités compétentes et au sein de celles-ci, tant au niveau central qu'au niveau local ;
- l'expérience insuffisante des inspecteurs dans certains aspects des contrôles officiels ».
Le rapport souligne également « l'absence de mesures de suivi immédiates i) pour s'assurer que les opérateurs remédient aux non-conformités telles que l'utilisation de traitements interdits, ii) pour éviter la mise sur le marché d'eaux minérales naturelles qui ne remplissent pas les conditions requises, iii) pour rappeler les produits non conformes du marché et iv) pour imposer des amendes/pénalités aux opérateurs qui ont mis des produits non conformes sur le marché ».
Le manque de transparence : le choix des autorités françaises de ne communiquer sur la fraude ni auprès des consommateurs, ni même de notifier la Commission européenne – qui a tout appris par la presse - ou encore de ne pas informer les autres Etats membres de l’Union européenne a permis aux entreprises concernées d’écouler des milliards de bouteilles d’eau non-conformes sur le marché intérieur et dans le monde pendant des années sans être inquiétées. Le rapport épingle aussi les entreprises : « Le fait que l'exactitude des informations alimentaires relatives aux produits fournis au consommateur n'ait pas été garantie par les opérateurs conformément à la législation applicable en matière d'information sur les denrées alimentaires et aux exigences des dispositions nationales pertinentes, et le fait que les autorités compétentes n'aient pris aucune décision pour limiter ou suspendre temporairement le commerce des produits en question ont eu pour conséquence que des produits non conformes ont continué à être mis sur le marché ».
Dans leurs réponses aux neuf recommandations de la Direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne, les autorités françaises se justifient par deux fois en évoquant « le secret de l’enquête ». Pour foodwatch : « Cette excuse ne tient absolument pas la route puisque des autorités ont tout à fait été à même d’informer les citoyens dans des scandales précédents : la viande de cheval, le fipronil, l’oxyde d’éthylène. La jurisprudence de la Cour de justice européenne autorise les Etats membres de l’UE à communiquer avec force détails, y compris lorsqu’il s’agit de produits impropres à la consommation ne présentant pas de danger imminent pour la santé ».
Sur la sécurité sanitaire, un doute persiste : « Malgré le nombre important d'analyses officielles effectuées, les autorités compétentes n'ont pas été en mesure d'identifier les sources de contamination, les raisons de l'utilisation de traitements illégaux ou la durée de ces traitements. Cela indique que le système de contrôle officiel n'est pas adapté à l'identification et à la correction des risques potentiels pour la santé ». A la lecture de ce rapport, on comprend que la plupart des analyses de l’eau par les autorités publiques sont réalisées après la mise en bouteille et donc après les traitements interdits : « Les inspections de sites ne sont pas basées sur les risques et ne sont pas effectuées régulièrement. Lorsqu'elles ont lieu, elles se limitent généralement à des discussions périodiques avec les opérateurs plutôt qu'à des vérifications ciblées de l'état réel du site et des opérations, ce qui limite la portée et l'efficacité des contrôles officiels ».
Si le cadre légal est européen – dans ce cas précis, il s’agit de la directive eau 2009/54/CE -, c’est bien la responsabilité de chaque Etat membre de l’Union européenne de protéger les consommateurs en vérifiant que les industriels respectent les règles et donc ne commercialisent pas de produits non-conformes.
« En théorie, l’Union européenne a mis en place des règles visant à assurer un niveau élevé de protection de la santé et des intérêts des consommateurs, à protéger les consommateurs contre toute tromperie et à garantir la loyauté des transactions commerciales. Dans la pratique, comment avoir confiance quand les autorités nationales de contrôle ne semblent pas respecter les règles européennes ni être en mesure de les faire respecter par des multinationales qui trichent ? », interroge foodwatch qui mobilise les consommateurs via une pétition appelant les grands groupes à rendre des comptes.
Contact presse – Ingrid Kragl – 06 01 23 12 46 – ingrid.kragl@foodwatch.fr
Sources :
- Rapport d’audit de la Commission européenne en France “Eaux minérales naturelles et eaux de source”, 24 juillet 2024
- Lettre de foodwatch à la Commission européenne, 19 février 2024. Dans ce courrier, foodwatch, confrontée au silence des autorités françaises dans cette affaire se faisait pressante : « D’après foodwatch, la gestion de la situation par les autorités françaises pose de multiples questions et appelle à un audit de la part de la Commission européenne. Quelles dispositions la Commission prévoit-elle de prendre pour que toute la transparence soit faite sur l’action des autorités françaises et dans quels délais ? »
- Réponse de la Commission européenne à foodwatch (lettre en français), 4 avril 2024. Dans ce courrier, la DG Santé est claire : « Je partage entièrement votre point de vue sur le droit à la transparence. Il est de la plus haute importance de veiller à ce que les consommateurs reçoivent des informations claires et fiables, en particulier sur les questions relatives aux denrées alimentaires qu’ils consomment et à l’eau qu’ils boivent ».
- « Eaux Perrier, Vichy, Vittel, Cristaline, etc. filtrées illégalement : une fraude massive contre laquelle foodwatch porte plainte », communiqué de presse, 20 février 2024
- « Scandale des eaux en bouteille : la fraude de Nestlé s’élève à plus de 3 milliards en 15 ans », Mediapart, 18 juillet 2024
- « Nestlé a prélevé de l’eau en toute illégalité pendant plus de 20 ans », Mediapart, 23 juillet 2024
- « Nestlé reconnaît avoir eu recours à des traitements interdits sur des eaux minérales pour maintenir leur « sécurité alimentaire », Le Monde, 29 janvier 2024
- « Plusieurs producteurs d’eau en bouteille ont filtré illégalement leur eau pour masquer une contamination », Cellule investigation de Radio France, 30 janvier 2024
- Pétition de foodwatch France « Eaux en bouteille Cristaline, Perrier, Contrex, Vittel, etc. : il est temps de rendre des comptes ! »
- Pétition de foodwatch Allemagne « Nestlé: Stoppt den Betrug mit Wasser in Plastikflaschen! »
- Jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne : le droit de l’Union autorise les autorités nationales à fournir des données d’identification lors de l’information des citoyens sur des denrées alimentaires non préjudiciables à la santé, mais impropres à la consommation. En particulier, il s’agit du nom de la denrée, de l’entreprise ou du nom commercial sous lequel elle a été fabriquée, traitée ou distribuée. Arrêt dans l'affaire C-636/11 Karl Berger / Freistaat Bayern du 11 avril 2013