Le saviez-vous ? L’Europe joue un rôle prépondérant sur le contenu de nos assiettes. La mention d’un allergène bien visible sur un pot de sauce, la quantité de sucre dans les céréales, l’exclusion d’additifs ou de contaminants dangereux pour la santé, l’interdiction de certains pesticides, l’importation de produits frauduleux ou issus de la déforestation, les contrôles dans le secteur agroalimentaire... Tout cela est décidé par la Commission européenne, avec les Etats membres et les eurodéputé·es. À l’approche des élections du Parlement européen le 9 juin 2024 et face aux politiques ultra-libérales, anti Europe et face à la montée en puissance des groupes d’extrême-droite, foodwatch rappelle l’importance de se mobiliser pour une Europe plus juste et plus solidaire, au service de l’intérêt général plutôt que des intérêts privés.
foodwatch est une organisation européenne, un contrepouvoir citoyen 100% indépendant présent dans cinq pays. Pour nous, il ne fait aucun doute que l’Europe doit mieux protéger, grâce à des règles communes, le droit à une alimentation saine et tous les droits fondamentaux pour toutes et tous. A l’aune des élections au Parlement européen, force est de constater qu’il y a encore du boulot pour une transition agricole et alimentaire plus durable. Ces élections seront donc capitales pour peser dans la balance des décisions européennes et des choix politiques pour ces prochaines années.
Une agriculture européenne à bout de souffle
Les manifestations de tracteurs début 2024, y compris devant le Parlement européen, ont rendu le sujet de nos agricultures brûlant. Pourtant, alors que beaucoup réclamaient avant tout de façon légitime une juste rémunération de leur production et de leur travail, certains lobbies et politiques en ont fait un tremplin pour défendre leurs propres intérêts. Pour foodwatch, comme nous l’avons démontré dans notre article « La colère du monde agricole et la précarité alimentaire sont les deux faces d’un système à rééquilibrer d’urgence ».
Sous le feu des projecteurs, les lobbies d’une agriculture industrielle et productiviste – comprenez : les grands groupes et la FNSEA - ont voulu faire croire que les mesures de préservation de la nature, des sols, de la biodiversité étaient de trop pour leurs rendements. Ils veulent poursuivre la fuite en avant d’une production industrielle dopée aux pesticides, quitte à hypothéquer notre santé, notre environnement et notre souveraineté alimentaire. Et ils ont obtenu gain de cause au niveau européen : ces derniers mois, des mesures de protection de l’environnement ont sauté quasiment du jour au lendemain. foodwatch dénonçait déjà ces manipulations après le début de la guerre en Ukraine.
foodwatch, aux côtés de nombreuses organisations de la société civile, a d’ailleurs critiqué ce rétropédalage, alors que la Commission européenne avait porté un projet ambitieux avec la stratégie du « Pacte vert » (Green Deal) et « De la Ferme à la Fourchette » (Farm to fork). Avec ces stratégies, l’Europe avait justement concrétisé la volonté de lancer enfin une transition réduisant l’utilisation des fertilisants et des pesticides. Nous allons continuer de suivre le sujet de près d’ici la renégociation de la prochaine Politique agricole commune (PAC) où nos eurodéputé·es auront un rôle crucial à jouer.
L’agriculture européenne est largement subventionnée et donc financée par nos impôts. Avec 53,7 milliards d’euros en 2023, la PAC est la politique européenne au plus gros budget et la France en est le premier bénéficiaire, en recevant 9 milliards d’euros par an de l’Europe. Malheureusement, la PAC aide peu les petits agriculteurs et agricultrices : 20% des plus gros acteurs agricoles dans l’UE accaparent 80% des subventions, tandis qu’en France, 20% d’entre eux mettent la main sur 50% du total…
Réconcilier agricultures et environnement, c’est possible et même urgent
Le problème, c’est que le modèle dominant des agricultures européennes est enfermé dans un modèle qui les rend dépendantes de l’utilisation massive de pesticides et de fertilisants et de leurs importations. Ce modèle est maintenu sous perfusion grâce à la PAC, alors qu’il est dangereux pour notre santé, notre environnement et mène les agriculteurs et agricultrices dans le mur.
Pourtant, des alternatives existent – bien meilleures pour notre santé, préservant un maximum la biodiversité et viables pour nos agriculteurs et agricultrices. Ces modèles sont basés sur les principes de l’agroécologie, c’est-à-dire une agriculture peu dépendante d’apports extérieurs (intrants), moins chimique, plus autonome et plus résiliente, qui s’appuie avant tout sur la Nature pour produire.
De nombreuses études publiées ces dernières années par de grands instituts l’ont démontré. Pour ne citer que les principales : « Une agriculture européenne sans pesticides chimiques en 2050 ? » de l’INRAe ou celle de l’IDDRI « Une Europe agroécologique en 2050 : une agriculture multifonctionnelle pour une alimentation saine », ou encore le scénario AFTERRE 2050 du bureau d’étude Solgaro. Toutes s’accordent sur le point de la viabilité des systèmes agroécologiques moins dépendants à la chimie et aux énergies fossiles. Et si elles pointent toutes dans la même direction, elles montrent aussi que ce changement ne viendra qu’avec une véritable politique agricole commune accompagnant les agriculteurs et agricultrices européen·nes, y compris les milliers qui ne parviennent pas à vivre dignement de leur production, précarisé·es par un système qui les écrase.
L’enjeu est énorme : le Parlement européen ne devra pas céder aux sirènes des visions à court terme (et souvent populistes) qui prétendent qu’il faut juste produire toujours plus et soi-disant « nourrir le monde » à coup d’agriculture intensive dopée aux intrants chimiques. Il est nécessaire de garantir un revenu juste aux agriculteurs tout en produisant mieux, c’est-à-dire de façon durable pour offrir à tous et toutes une alimentation (enfin) saine.
Information des consommateurs et consommatrices : l’Europe cadre et veille
Sur les étiquettes de nos aliments, l’Europe a instauré une règle d’or : l’information donnée sur les aliments ne doit pas induire les consommateurs et consommatrices en erreur.
Depuis 2011, les industriels doivent obligatoirement mentionner des informations dont on ne peut plus se passer, mais qui n’ont pas toujours été évidentes, comme la liste des ingrédients, la quantité nette d’un produit, sa date limite de consommation, la présence d’allergènes ou encore la déclaration nutritionnelle. C’est le règlement INCO. L’Union européenne a rendu obligatoires les tableaux de valeur nutritionnelle au dos des emballages, pour aider les consommateurs et consommatrices à comparer les aliments et à savoir quelles quantités de lipides, acides gras saturés ou encore sucre contient un produit par 100g ou 100ml. Sans l’Europe, nous dépendions du bon vouloir des industriels pour savoir ce que contenaient les paquets.
Mais il faut bien sûr aller plus loin. La déclaration nutritionnelle obligatoire a permis au Nutri-Score de s’imposer dans plusieurs pays européens comme le logo nutritionnel coloré, qui la synthétise et aide à faire des choix plus simples, sains et éclairés.
En 2020, la Commission européenne a profité de l’adoption de la stratégie “De la ferme à la fourchette” pour prévoir, entre autres ambitions, de rendre obligatoire un logo nutritionnel comme le Nutri-score en face avant des emballages dans tous les Etats membres. Ce projet a malheureusement été torpillé par les lobbies de l’agroalimentaire, notamment italiens. Mais on ne va pas le lâcher pour autant : foodwatch continue de se battre avec d’autres ONG pour le rendre obligatoire partout en Europe, et nous aurons besoin du courage d’eurodéputé·es prêt·es à défendre l’intérêt général face aux lobbies.
C’est aussi l’Europe qui surveille de près l’arrivée d’aliments frauduleux, dont le faux miel, par exemple. C’est encore une directive européenne qui fixe les règles sanitaires des eaux en bouteille, sur laquelle foodwatch s’est d’ailleurs appuyée pour porter plainte dans le récent scandale éclaboussant Nestlé, Perrier, Cristaline...
Le cadre réglementaire européen ne suffit malheureusement pas à sanctionner les pratiques malhonnêtes des arnaques sur l’étiquette. foodwatch a porté le sujet de la shrinkflation jusqu’à obtenir une règlementation en France. Nous savons que la question est en passe d’être débattue aussi à Bruxelles. Parce que toutes et tous les européen·nes ont droit à la même information sur les pratiques abusives des industriels.
Il y a encore des progrès à faire en matière de transparence : la révision du règlement sur l’INformation des COnsommateurs (INCO), manquée lors du dernier mandat de la Commission européenne, sera remise au centre des débats après les élections de juin.
Pour foodwatch, il s’agira de tordre le bras aux stratégies de manipulation et de désinformation des lobbies et de s’assurer que la santé passe avant les profits des industriels de l’agroalimentaire.
L’Europe : la santé par l’assiette ?
C’est au niveau européen que se décident les règles sanitaires qui régissent notre alimentation. Par exemple, la campagne menée par foodwatch sur les huiles minérales, ces dérivés de pétrole, cancérogènes, mutagènes et perturbateurs endocriniens qui migrent souvent des emballages vers nos aliments, a débouché sur une interdiction à l’échelle européenne afin de véritablement protéger les citoyens et citoyennes de ces contaminants. C’est aussi ce qui s’est passé avec l’interdiction du dioxyde de titane (E171), un additif nocif pour notre santé, interdit en France en 2020 puis dans toute l’Union européenne en 2022. L’Europe a ce pouvoir-là, même si cela n’arrange pas les affaires des industriels.
C’est l’Union européenne qui décide de l’autorisation et l’interdiction de pesticides ou d’additifs. Elle s’appuie pour cela sur l’expertise de l’EFSA, l’autorité européenne de sécurité des aliments et doit composer avec la pression des lobbies industriels ainsi que celle de la société civile.
C’est aussi au niveau européen que la quantité de résidus de pesticides autorisés dans notre alimentation est définie. Cela dit, si ces décisions sont européennes, rappelons que ce sont bien les Etats membres qui les prennent au Conseil ou dans des comités où ils siègent. La saga du glyphosate est un triste exemple : en l’absence de consensus entre les Etats membres de l’Union européenne, la Commission a proposé la ré-autorisation de l’herbicide classé probablement cancérogène par le Centre international de recherche sur le cancer. Et en fin de compte, ce sont bien les Etats membres qui ont voté la prolongation du pesticide.
De plus, ces règles sont un plancher et non un plafond. Si un Etat membre de l’UE veut interdire une substance sur son marché pour protéger la santé de ses citoyens et citoyennes ou l’environnement, il est libre de le faire. Le principe de précaution inscrit dans les textes européens permet cette marge de manœuvre.
Il est important de le souligner car certains décideurs politiques ont vite fait de blâmer l’Union européenne pour justifier leur inaction. Chez foodwatch, lors de rendez-vous politiques, nous avons maintes fois entendu des ministères prétendre qu’ils ne pouvaient rien faire car c’est à Bruxelles que cela se décide. Nuançons : c’est en partie vrai mais c’est aussi faux. Nos politiciens nationaux non seulement participent aux décisions européennes, mais ont en plus un pouvoir d’initiative et d’impulsion. Ils n’ont donc bien souvent pas les poings aussi liés par l’Europe qu’ils voudraient le laisser croire.
"Utilisez votre voix. Ou d'autres décideront pour vous" - Slogan du Parlement européen
Pour une Europe qui protège encore mieux les citoyennes et citoyens
Ces dernières années, les lobbies de l’industrie agroalimentaire et de l’agriculture industrielle ont profité des crises pour détricoter voire détruire un maximum de règles visant à protéger davantage l’alimentation, la santé, les sols et l’environnement. Derrière les arguments de réglementations trop strictes, derrière la nécessité indéniable d’améliorer la rémunération des agriculteurs et agricultrices, ou encore l’hypocrisie de vouloir « nourrir le monde », les lobbies ont surtout la volonté de se débarrasser de tout obstacle à la production alimentaire de masse : ils veulent produire toujours plus et sans entraves. Cette logique productiviste qui ne profite qu’à une poignée d’industriels et de grands groupes agricoles, et qui en réalité est très dépendante, n’a que faire du vivant, de la biodiversité, de notre santé et creuse de plus de plus en plus les inégalités.
foodwatch veille sur nos droits et se bat pour une transition agricole et alimentaire plus juste et plus durable. Le 9 juin prochain, ensemble, nous pouvons décider d’une Europe qui œuvre à une alimentation saine, sûre, choisie et accessible pour tous et toutes. Parce que ce n’est pas gagné, que l’on voit monter les discours démagogues qui cherchent à nous monter les uns contre les autres, parce que nous aurons besoin de voix qui comptent au Parlement européen, allons voter.
Questions / Réponses
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