Stratégie des distributeurs sur la sortie des pesticides : le baromètre de foodwatch
Pour réduire et mettre fin à l’usage des pesticides en Europe, il faut impérativement s’attaquer à la culture des céréales qui représente le plus de surface agricole et où le plus grand nombre de doses de pesticides est utilisé. La responsabilité des distributeurs sur le sujet et dans le contexte actuel est majeure : ils ont la mainmise sur l’offre des produits qu’ils mettent en rayon. foodwatch a mené l’enquête auprès de 20 distributeurs à travers l’Europe, dont 6 en France, afin de scruter leur stratégie de réduction ou de suppression des pesticides dans la production de céréales. Résultat : le compte n’y est pas.
Sortie des pesticides : place aux céréales !
Depuis plusieurs années, grâce à l’action d’associations et à une mobilisation citoyenne d’ampleur, la question des résidus des pesticides dans les fruits et légumes a émergé dans le débat public et a eu un impact sur l’offre des distributeurs.
Pourtant, c’est la production de céréales comme le blé, le maïs, l’avoine, etc. qui contribue de manière significative à l'usage généralisé de pesticides dans l'Union européenne, et donc à la contamination de l’environnement et à l’ingestion de résidus de ces substances. Pour sortir des pesticides, il faut donc commencer par agir sur la façon dont sont cultivées les céréales, un sujet souvent négligé par les distributeurs par rapport à celui des fruits et légumes.
En Europe, la production de céréales couvre 50% des surfaces cultivées : c’est l’équivalent de plus 81 millions de terrains de football qui sont traités en moyenne 4 à 6 fois par des pesticides chaque année. En France, près de 40% des pesticides utilisés le sont précisément sur des céréales. Agir à ce niveau ferait donc une différence énorme, et les distributeurs ont un rôle de premier plan à jouer dans ces évolutions.
Grande distribution : une responsabilité dans la fin des pesticides dans les céréales
Remettons les points sur les i : les mastodontes de l’agroalimentaire et de la grande distribution ont une responsabilité centrale dans les dysfonctionnements de notre système agroalimentaire, et l’utilisation massive de pesticides en fait partie. Leur mainmise sur le marché leur permet non seulement d’imposer leurs conditions aux productrices et producteurs, mais aussi d’utiliser leur pouvoir d’influence sur les pratiques de consommation, puisque c’est eux qui décident ce qu’ils mettent dans les rayons et à quel prix.
Pour foodwatch, il est nécessaire d’interroger le rôle et les actions des supermarchés vis-à-vis de l’impact environnemental des produits qu’ils vendent dans leurs rayons alimentation. Si les distributeurs agissaient véritablement sur l’usage des pesticides dans la production de céréales – en accompagnant les agriculteur·rices et en achetant leur production à un prix équitable – l’impact positif pourrait être conséquent. La pression des consommateur·rices sur ce sujet est essentielle pour montrer aux supermarchés qu’il est de leur responsabilité de s’engager entièrement sur cette voie.
Stratégie pesticides des supermarchés : de l’enquête de foodwatch
Afin de faire le lien avec l’existant, foodwatch a analysé 20 distributeurs en France, aux Pays-Bas et en Allemagne (ainsi qu’un détaillant en Suisse) pour savoir s’ils ont un plan pour réduire l’utilisation de pesticides dans leurs produits tels que le pain, les pâtes et les céréales. En France, les réponses de Carrefour, Super U, E. Leclerc, Casino, Monoprix et Intermarché diffèrent légèrement mais nous amènent à un même constat : si l’on retrouve chez chacun de ces distributeurs des stratégies plus ou moins avancées et ambitieuses pour réduire les pesticides au rayon fruits et légumes, aucun distributeur français n'a adopté une stratégie de réduction et de suppression des pesticides dans la production de céréales.
Voici les points clés de notre investigation :
1. Une large proportion des enseignes enquêtées en France a une stratégie dédiée et précise sur leur offre de fruits et légumes – avec des contraintes sur les usages de certains produits, un accompagnement technique et financier des agriculteur·rices.
2. Sur les produits à base de céréales, c’est plutôt l’inverse. Seul Carrefour et Intermarché ont commencé à se pencher sur la question, sans toutefois clairement fixer un objectif de réduction et de suppression.
3. De nombreux supermarchés se concentrent sur la quantité de résidus de pesticides sur les produits et non sur la réduction et la suppresion de l’usage lors de la production. C’est une démarche qui n’est pas suffisante car la contamination de l’environnement par les pesticides ne peut être réduit auux résidus dans le produit fini mais aussi sur le nombre de doses épandues sur les champs.
4. Seul le supermarché Tegut en Allemagne propose une large offre de produits de boulangerie biologiques réduisant l’offre conventionnelle.
Aujourd’hui, le constat est sans appel. Dans les rayons, les produits élaborés avec des ingrédients produits sans pesticides sont inaccessibles pour la majorité des consommateur·rices, car trop chers ou juste absents des rayons. Il ne suffit pas d’offrir des alternatives BIO via une offre premium ou les marges sont souvent excessives. Il est nécessaire d’avoir des objectifs explicites de réduction et de suppression de l'utilisation de pesticides dans les produits conventionnels, notamment là où près de la moitié de toutes les applications de pesticides ont lieu dans l'UE : dans la culture céréalière !
Important : un « feu vert » dans une catégorie ne veut pas dire que le distributeur a réussi à mettre en place les demandes de foodwatch, seulement qu’il est sur la bonne voie pour le faire. Finalement, le baromètre peut être mis à jour avec si un distributeur s’engage à mettre en place des actions allant dans le sens d’une réduction ou d’une suppression des pesticides dans la culture des céréales utilisées pour les produits proposés dans leurs rayons.
En France, focus sur Carrefour, E.Leclerc, Super U, LIDL, Casino, Monoprix et Auchan
Si l’on veut résumer rapidement, certains supermarchés français ont souvent un pas d’avance par rapport aux autres, mais globalement, leurs stratégies pour réduire les pesticides manquent d’ambition. Les couleurs vertes de notre baromètre ne sont donc pas des félicitations, mais plutôt des encouragements pour que ces supermarchés continuent de mettre en place des actions qui vont dans le bon sens.
Méthodologie et sources
En juillet dernier, nous avons envoyé un questionnaire aux distributeurs les plus importants en Allemagne, France et Pays-Bas afin d’évaluer leur stratégie d’approvisionnement et l’assortiment de produits proposés, au regard de l’usage des pesticides dans la production de fruits et légumes, mais surtout pour les produits à base de céréales. Suite à ces questionnaires, certains distributeurs ont tenu à échanger directement avec nous pour expliciter certains points, d’autres se sont contentés d’une brève réponse. Après le lancement de notre campagne sur l’usage des pesticides dans la culture des céréales en octobre 2023, d’autres courriers avec des précisions se sont ajoutées à la première vague. C’est sur l’ensemble de ces informations que nous avons créé ce baromètre.