André Cicolella (RES) à propos des hydrocarbures dans les aliments : « Le risque est connu. Il faut l’éliminer. »
André Cicolella est président du Réseau Environnement Santé, toxicologue et chimiste. Il est l’inspirateur de la loi interdisant le bisphénol A en France. Avec foodwatch, il milite pour une règlementation qui protège les consommateurs des risques auxquels ils sont exposés… en mangeant, tout simplement.
M. Cicolella, vous dénoncez avec foodwatch le problème de la contamination des aliments par des hydrocarbures provenant des emballages et potentiellement cancérogènes, mutagènes et affectant le système endocrinien. Pourquoi ?
Nous sommes confrontés à une épidémie mondiale de maladies chroniques principalement maladies cardio-vasculaires, cancers, maladies respiratoires et diabète. Une plaquette grand public de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) de 2006 est intitulée « Halte à l’épidémie mondiale de maladies chroniques ». Ce constat a fait l’objet de la déclaration de New York en septembre 2011 signée par 184 chefs d’État et de gouvernement à l’occasion de l’assemblée générale de l’ONU. En 2014, l’OMS a même fixé l’objectif de réduction de la mortalité de 25 % d’ici 2025. A partir de ce constat, il est nécessaire de s’attaquer aux causes. La pollution chimique généralisée fait partie des grandes causes. Pour y faire face, il faut éliminer à la source cette contamination.
Vous affirmez qu’il s’agit d’une véritable question de santé publique et vous précisez : « de santé environnementale ». Qu’est-ce que cela signifie ?
On confond aujourd’hui trop souvent santé et soin. C’est bien de soigner les gens quand ils sont malades, mais il est important aussi de faire en sorte qu’ils ne soient pas malades. La santé environnementale est la réponse à ce besoin d’agir sur les causes environnementales des maladies.
60% des aliments testés pour foodwatch France sont contaminés par des hydrocarbures aromatiques d’huiles minérales ou MOAH, la catégorie d’huiles minérales la plus dangereuse. Or en Allemagne, seuls 21% des produits testés sont contaminés par les MOAH. Avez-vous été surpris par ces résultats ? Que faut-il en déduire par rapport à la France ?
Oui. Cela montre clairement que l’on a commencé à se préoccuper du problème en Allemagne, alors qu’en France la question n’a même pas été posée. C’est pour cela que c’était important de faire cette analyse comparative. C’est la preuve qu’il y a des solutions.
Au lendemain de la publication des résultats des tests réalisés en laboratoire pour foodwatch, Marisol Touraine a déclaré qu’elle n’allait « pas permettre ce qui représente un danger pour nos concitoyens » mais qu’il ne fallait pas céder à la psychose. Parmi les produits qui contiennent des MOAH, il y a des aliments consommés par les enfants ou du bio. Pensez-vous qu’on peut compter sur nos autorités pour prendre toute la mesure du problème ?
Il ne s’agit pas de psychose. Si on observe la présence de substances cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction (CMR) et qui perturbent le système endocrinien (PE), c’est-à-dire de substances induisant des effets sanitaires majeurs, il faut les éliminer de notre alimentation. C’est ne rien faire qui induirait une psychose quand le scandale éclaterait, si les autorités sanitaires ne jouent pas le rôle qui est de protéger la santé des populations.
Les fabricants et distributeurs sollicités par foodwatch sont, pour certains, favorables à une réglementation. Nous savons que des solutions très simples existent, des matériaux qui constituent des barrières efficaces pour empêcher cette contamination. Il faudrait les rendre obligatoires. Pour l’équivalent allemand de l’ANSES, l’Institut fédéral pour l’évaluation des risques (BfR), « Aucune migration démontrable de MOAH dans les aliments ne devrait se produire ». Le principe de précaution permet de protéger les citoyens de tout risque et donc de légiférer au niveau national. Pensez-vous que la France peut et doit se montrer pionnière pour régler le problème de la contamination des aliments par les huiles minérales ? Qu’attendons-nous ?
La France est le premier pays européen à avoir interdit le bisphénol A dans les biberons. Cette décision a été élargie ensuite à l’ensemble de l’Union Européenne. Elle est aussi le seul pays à s’être dotée d’une Stratégie Nationale Perturbateurs Endocriniens. Elle doit continuer dans cette voie en traitant ce problème de contamination par les MOAH. Par-delà les MOAH, qui représentent une contamination involontaire, il est important que l’ensemble des pays européens se préoccupent de la contamination volontaire. Une étude récente a montré que 175 substances dangereuses, dont 119 perturbateurs endocriniens, sont autorisées dans les additifs alimentaires et les matériaux à usage alimentaire. On n’est pas dans la précaution, on est dans la simple prévention. Le risque est connu et il faut l’éliminer.