La législation alimentaire européenne s’invite à la table des politiques
Par Paul Hohnen, foodwatch Pays-Bas. Article original paru dans le Guardian
Dans son discours devant le Parlement européen, le 15 juillet dernier, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a brossé les grandes lignes de sa politique pour les cinq prochaines années. A la surprise de certains observateurs, la sécurité sanitaire des aliments figure désormais parmi les dix domaines d'action prioritaire au sein de l'Union européenne (avec l'emploi, la croissance, le climat, l'innovation, etc.).
Et pourtant, rien d'étonnant à cela !
Voici douze ans que le puissant lobby du secteur prend en otage la législation qui, depuis 2002, fixe le cadre de la sécurité sanitaire des aliments dans toute l'Europe. Cette législation visionnaire de par son approche préventive en matière de risques sanitaires a été le plus souvent mise en œuvre a posteriori, lorsque le mal était déjà fait. Le récent scandale de la viande de cheval ne doit pas faire oublier d’autres problèmes préoccupants, comme les aliments présentant une teneur dangereusement élevée en sel ou en sucre.
Lancé récemment, l'examen de la législation alimentaire générale (LAG), donne à Jean-Claude Juncker l'occasion de passer à l’action. La Commission, les organismes de protection du consommateur et de prévention des risques alimentaires, ainsi que tous les autres acteurs du secteur -, doivent saisir cette occasion pour défendre l'esprit et la lettre de la législation, pour la renforcer si nécessaire.
La législation alimentaire générale a vu le jour dans un contexte particulier : le scandale de la vache folle, qui a révélé un ensemble de négligences de la part des industriels du secteur alimentaire. L'omission systématique des précautions qui auraient pu empêcher que les viandes contaminées dangereuses ne parviennent jusqu'au consommateur a mis en péril la santé des consommateurs et le bien-être des animaux.
Parmi les changements introduits par la législation alimentaire générale s'inscrit un nouvel objectif : l'introduction du principe de précaution pour protéger la vie, la santé et les intérêts du consommateur.
Si la régulation a permis d'améliorer la sécurité sanitaire des aliments, ces dix dernières années ont aussi vu perdurer des problèmes qui soulèvent de graves questions pour les politiques, les dirigeants et le marché.
Du côté de la production et de la distribution, une série de scandales a fait la une des journaux : la viande de cheval présentée comme de la viande de bœuf, les œufs de batterie vendus comme étant « bio » ou « élevage en plein air », les aliments pour animaux contaminés à la dioxine, les fruits et les légumes contenant des bactéries pathogènes. Dans tous ces cas, l'aliment incriminé avait déjà atteint le consommateur lorsque le scandale a éclaté.
Sanctions et garde-fous existants n'ont pas suffi à détecter ni à décourager les mauvaises pratiques.
Il ne faut pas non plus oublier que perdure l'utilisation généralisée d'additifs alimentaires autorisés présentant des risques sanitaires avérés, ou encore la commercialisation de produits portant une étiquette trompeuse, qui ne reflète pas la véritable qualité.
Les lois sur la sécurité sanitaire des aliments présentent aussi une dimension nutritionnelle. Au fil des années, il est apparu que le taux d'obésité, de diabète et le développement d'autres maladies liées à l'alimentation – y compris chez les enfants – sont étroitement liés aux teneurs élevées en sucre, sel et graisses de nombreux produits.
Comment est-ce possible ?
Dans une large mesure, la réponse se résume en quelques mots : les lobbys du secteur alimentaire. Depuis l'introduction de la législation alimentaire générale, les faits sont éloquents :
- Les gouvernements trahissent l’esprit de la législation en ne réagissant qu’a posteriori. Le principe de précaution n’est pas mis en œuvre, bien au contraire : ce n’est qu’une fois les produits mal étiquetés (la viande de cheval, par exemple) ou dangereux (comme les œufs contaminés à la dioxine) consommés que la loi est appliquée.
- Les sanctions et les garde-fous existants sont insuffisants. La LAG n'a pas fourni les incitations nécessaires pour que producteurs et distributeurs fassent en sorte d'éviter les scandales alimentaires. Les chaînes de distribution de détail, par exemple, ne peuvent être tenues responsables devant la loi de la vente de produits mal étiquetés, même s'il s'agit de marchandises portant leur propre « marque distributeur ». En effet, aucune disposition légale ne les oblige à vérifier la composition de leurs produits. C'est un problème fondamental : ces acteurs échappent à leurs responsabilités et à toute obligation de transparence.
- Les organismes de protection de la santé et des consommateurs ont formulé des propositions pertinentes en faveur d'un étiquetage plus simple et plus transparent des teneurs en sucre, graisses et sel, mais elles ont été rejetées. Résultat, la formulation des teneurs en sucre, graisses et sel dans les produits reste incompréhensible, même pour un consommateur ayant une formation scientifique.
Toutefois, l'un des points forts de la LAG reste l'introduction d'un réexamen périodique permettant aux parties concernées d'exprimer leurs opinions.
Certains réclameront une application plus efficace des dispositions existantes (via des sanctions plus strictes, peut-être), d’autres demanderont des mesures supplémentaires (pour une traçabilité et un étiquetage des produits plus transparents, par exemple), ou d’élargir le débat public.
Quelle que soit l'approche adoptée, l'heure est venue de recentrer la législation alimentaire générale sur la prévention, afin de protéger les consommateurs des risques sanitaires et de la fraude alimentaire.