Matthias Fekl, secrétaire d’Etat au commerce extérieur, réunit ce 28 octobre les représentants de la société civile au sein du Comité de suivi stratégique du traité transatlantique.
L’objectif de ce Partenariat Transatlantique de Commerce et d'Investissement (alias TAFTA, Transatlantic Free Trade Agreement) est avant tout de gommer les hiatus entre les barrières non tarifaires, c’est-à-dire les différentes normes appliquées aux produits. Ce sont entre autres des normes techniques, qui compliquent les échanges commerciaux entre l'Europe et les Etats-Unis. Leur harmonisation, par exemple l’introduction d’une couleur unique pour les clignotants de voiture, permettrait de réduire les coûts et de stimuler les échanges. Jusque-là, tout le monde est d'accord.
Le libre-échange est indispensable, mais...
Hélas, ces barrières non tarifaires ne concernent pas seulement la couleur des clignotants, mais aussi les procédures d'homologation des produits chimiques, les normes de sécurité, la législation réglementant l’étiquetage des produits alimentaires, ou encore les conditions de travail, qui ne sont pas les mêmes en Europe et aux Etats-Unis. C'est là que le bât blesse. La suppression des obstacles commerciaux risque aussi de vider de leur substance les législations sur l'environnement et la protection du consommateur – et ce, surtout au sein de l'Union européenne, où les exigences sont en général supérieures.
Le libre-échange est un rouage indispensable de l'économie mondiale. Il ne s’agit pas de s’y opposer, dès lors qu’il est équitable. Mais s’il permet de rogner sur les droits du citoyen, alors il est normal que la résistance s'organise.
Afin de désamorcer les craintes, les gouvernements et les fédérations d'entreprises assurent que le TAFTA n'aura aucune influence sur les normes environnementales ou alimentaires, ni sur la protection ou l'information du consommateur. À l'égard des citoyens de l'Union européenne, c'est doublement critiquable.
Pourquoi il ne faut pas geler les standards européens
Premièrement, l'abaissement des normes transparait déjà dans le mandat de négociation de la Commission européenne. En ce qui concerne l'autorisation de produits dangereux, par exemple, le « principe de précaution », garanti par les traités au sein de l’UE s'en trouve écorné. Selon ce principe, le doute scientifique fondé suffit à faire interdire une substance chimique présumée dangereuse, sans attendre la preuve scientifique définitive. L'inversion de la charge de la preuve prévaut : c'est au fabricant qu'il incombe d'apporter la preuve que son produit est inoffensif, non pas au plaignant de prouver sa nocivité. En ancrant le principe de précaution dans le règlement REACH sur les produits chimiques, l'Union européenne a fait œuvre de pionnière. Aux Etats-Unis, en revanche, le principe économique l’emporte : on attend parfois jusqu’à un décès dû au produit supposé dangereux pour l'interdire. Or le TAFTA prévoit l'harmonisation des normes par reconnaissance mutuelle. On risque dans ce cas d’aboutir à des compromis a minima.
Deuxièmement, le maintien des normes européennes, le cas échéant, serait non pas un succès, mais une déclaration de faillite. Car certaines pratiques scandaleuses, notamment dans l'agriculture, resteraient figées : les conditions de vie des animaux dans les élevages, l'excès d'antibiotique dans les aliments pour le bétail, la pollution de l'eau potable par les engrais, ou encore le manque de transparence dans l’étiquetage des produits génétiquement modifiés – pour ne citer que quelques exemples. Avec le TAFTA tel qu'il se dessine, ces abus sont appelés à perdurer et resteront gravés dans le marbre du droit international pour des décennies.
Ces gênants droits des consommateurs
Le renforcement des normes de protection de l’environnement ou du consommateur augmente les coûts. Or l'objectif du TAFTA est au contraire d'abaisser les coûts pour les grands groupes internationaux. Pour y parvenir, ceux-ci pourront faire appel à une procédure d'arbitrage devant un tribunal privé supranational. Ainsi, les entreprises pourront se retourner contre l'Etat afin d’empêcher l'introduction de règles qui menacent leurs profits, même si elles sont d'intérêt général. D’autre part le TAFTA intègre également la « coopération régulatoire », un mécanisme pour harmoniser en amont les législations proposées par les Etats signataires, via une concertation entre les autorités de régulation de part et d'autre de l'Atlantique – et bien sûr, avec la participation d’influents lobbies. Le TAFTA viendra alors conforter une politique qui nuit aux citoyens et aux consommateurs.
L'enjeu du traité transatlantique n'est donc pas seulement la couleur des clignotants. Il s'agit en réalité de supprimer les obstacles commerciaux gênants pour les grandes entreprises et de porter atteinte aux droits du consommateur.
Thilo Bode, fondateur et président de foodwatch.