Depuis quelques mois, des acronymes obscurs se sont invités dans le débat public : TAFTA, TTIP, PTCI, GMT… Ces appellations sont mystérieuses, mais le danger, lui, est bien réel. Toutes désignent le traité transatlantique de libre-échange actuellement négocié par l’Union européenne et les Etats-Unis.
Ce projet de partenariat qui menace non seulement les droits des consommateurs, mais aussi la protection de l’environnement, est discuté en toute opacité. Dès le début des pourparlers, les citoyens ont été mis de côté. Ce sont avant tout les lobbies qui murmurent à l’oreille des négociateurs puisque 92% des rencontres organisées par la Commission européenne l’ont été avec des lobbyistes du secteur privé.
Inquiétant : les multinationales agroalimentaires ont été plus actives que les industries pharmaceutiques, chimiques, financières et automobiles réunies ! Il est donc temps de faire entendre notre voix : en tant que consommateurs car notre santé est en jeu, mais aussi en tant que citoyens, car nos choix collectifs démocratiques sont menacés.
Du bœuf aux hormones bientôt dans nos assiettes ?
Matthias Fekl, secrétaire d’Etat chargé du Commerce extérieur et donc concerné au premier chef par les négociations, ainsi que le Ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, affirment que le marché européen restera fermé au bœuf aux hormones américain. Mais au-delà des promesses à court terme, il ne faut pas se voiler la face : le simple maintien de nos standards européennes face aux standards américains serait une catastrophe.
Car ces mêmes normes européennes permettent actuellement des pratiques scandaleuses en matière d’alimentation : conditions de vie des animaux dans les élevages, excès d'antibiotique dans les aliments pour le bétail, pollution de l'eau potable par les engrais… la liste est longue. Il faudrait pouvoir améliorer nos standards. Or, cette possibilité – qui a un prix - ne figure pas à l’agenda du TAFTA dont l’objectif est, rappelons-le, de réduire les entraves au commerce et les coûts.
Un menu toxique ?
Sur plusieurs questions sensibles, la différence d’approche entre nos deux continents est de taille. Elle tient en trois mots : principe de précaution. En Europe, lorsqu’on soupçonne une substance d’être dangereuse, c’est au fabricant d’apporter la preuve que son produit est inoffensif. Cela vaut bien entendu pour les traitements utilisés par nos agriculteurs sur les fruits et légumes par exemple. Il suffit donc d’un seul doute scientifique sur leur dangerosité pour les faire interdire purement et simplement. Aux Etats-Unis, c’est tout le contraire : on attend parfois jusqu’à un décès pour prohiber un produit supposé dangereux. Là-bas, le principe de précaution n’existe pas.
Cette divergence fondamentale est au cœur des négociations du traité : choisira-t-on de protéger les consommateurs en amont, comme en Europe, ou en aval comme aux Etats-Unis ? Puisque le TAFTA prévoit l'harmonisation des normes par reconnaissance mutuelle, on risque d’aboutir à un compromis qui nivèlera nos normes de sécurité vers le bas.
Et des OGM au dessert ?
Actuellement, l’industrie alimentaire n’est pas obligée d'informer le consommateur lorsqu’un ingrédient d’origine animale, comme le lait, les œufs ou la viande, est issu d’animaux nourris avec des aliments génétiquement modifiés. C’est d’autant plus scandaleux que la majorité des Européens est opposée à l’usage d’OGM dans l’agriculture. Aux Etats-Unis, les organismes génétiquement modifiés sont nettement plus répandus qu’en Europe et ne sont soumis à aucune obligation d’étiquetage.
Avec le TAFTA, l’espoir de voir adopter en Europe un étiquetage clair de ces ingrédients s’envole. Car la Commission européenne, en vertu de son mandat de négociation, a la ferme intention de mener à bien les pourparlers. Elle ne risque pas de se saboter en adoptant dans le même temps de nouveaux « obstacles au commerce ». C’est bien comme cela que sont perçues les réglementations qui améliorent la protection des consommateurs : comme des coûts supplémentaires.
Augmenter les profits des entreprises ou protéger les consommateurs : l’Europe doit choisir
En l’état, le traité transatlantique permettrait à une entreprise de réclamer des compensations aux pouvoirs publics dès lors qu’elle estime que la législation d’un pays menace ses profits. Pour trancher ces conflits, les industriels pourraient faire appel non pas aux justices nationales, mais à des tribunaux privés via un arbitrage appelé ISDS (Investment-State Dispute Settlement).
Des mécanismes similaires à l’ISDS sont déjà présents dans bon nombre de traités de libre-échange internationaux qui lient la France, et dans beaucoup d’autres pays. Pas de quoi s’inquiéter, s’écrient en chœur négociateurs américains et européens ! Vraiment ? « Grâce » à l’ISDS, les géants de l’agroalimentaire seraient pourtant en mesure de remettre en cause les politiques de santé menées par nos gouvernements.
Imaginez : si demain un pays européen décidait par exemple d’interdire la vente des boissons énergisantes aux mineurs (type Redbull, Burn ou Monster), les fabricants concernés pourraient attaquer l’Etat et lui réclamer des compensations sonnantes et trébuchantes, en utilisant l’ISDS. Un tribunal privé aurait donc le pouvoir de remettre en cause des choix collectifs, pourtant votés démocratiquement.
Contre le déni de démocratie, faisons entendre nos voix !
Que peut-on faire ? foodwatch, avec plus de 380 organisations européennes, est partie prenante de l’Initiative Citoyenne Européenne auto-organisée, qui rassemble déjà plus d’1,5 million de signatures contre le TAFTA.
Parce que les négociations sont opaques, les lobbies industriels omniprésents, et que ce traité pourrait remettre en cause les choix de société de chacun des pays signataires, nous disons non à ce flagrant déni de démocratie. Comme Jamie Oliver, le célèbre chef britannique, signez la pétition dès aujourd’hui. Ensemble, mobilisons-nous.