foodwatch avait demandé fin 2015 à Coca-Cola d’être transparente sur sa stratégie de financement de la recherche en Europe. C’est chose faite. La liste des projets et organismes subventionnés en France illustre comment les près de 7 millions d’euros injectés par le géant du soda sont savamment employés à brouiller le débat sur l’obésité et le diabète. Chercheurs, médecins, nutritionnistes, diététiciens ont empoché des sommes rondelettes et prétendu que les boissons light seraient finalement plutôt bénéfiques pour la santé. Ce qu’elles ne sont pas. Coca-Cola met les moyens pour que les conséquences des boissons sucrées ou édulcorées sur la santé soient minimisées, et pour échapper à ses responsabilités. C’est grave.
En réalité, les sodas contribuent à l’inquiétante progression du taux de surpoids (30%) et d’obésité (13%) chez les adultes en France et augmentent le risque de diabète, selon plusieurs études. Or le diabète tue plus de 10.000 personnes par an en France, est responsable de près de 8.000 amputations de membres inférieurs, de 17.000 AVC (accident vasculaire cérébral), de plus de 11.000 infarctus du myocarde chaque année. C’est l’une des principales causes de cécité et d’insuffisance rénale.
Les édulcorants du light : aucun bénéfice pour les diabétiques et peut-être même des risques
La stratégie de désinformation de Coca-Cola est très au point. Il faut dire que l’enjeu était de taille : en 2011, l’Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments (Anses) avait en effet décidé de vérifier l’intérêt nutritionnel des édulcorants. La science allait-elle démonter point par point les arguments utilisés par Coca-Cola pour vendre ses produits light ? Pire : allait-elle mettre en avant des risques liés à la consommation d’édulcorants intenses ?
En 2015, malgré les fortes pressions des lobbies, l’agence a publié un rapport dont les conclusions sont tombées comme un couperet pour l’industrie des sodas : non, les édulcorants intenses n’ont pas d’effet bénéfique sur le contrôle glycémique des personnes diabétiques. La consommation régulière et prolongée de ces édulcorants intenses pourrait même comporter des risques. Des risques déjà soulignés par l’Inserm en 2013 par une étude menée sur plus de 66.000 femmes. Contrairement aux idées reçues, écrivait l’Inserm, le risque de diabète de type 2 est plus élevé lorsqu’on consomme des boissons light plutôt que des boissons sucrées « normales ».
Qu’à cela ne tienne, Coca-Cola a mis les moyens pour faire croire aux consommateurs que ses produits à base de « faux sucres » – light, zéro, life (stévia) - font partie de la solution. Pour le géant des sodas, des scientifiques français ont ainsi sillonné congrès et conférences et multiplié les publications en chantant les louanges des édulcorants. Exemples (cliquez sur les capsules dans la carte) :
Fédération française des diabétiques : 268.552 € au moins
Si vous figurez parmi les 3 millions de personnes touchées par le diabète en France, on vous a sans doute vanté les « bénéfices » des boissons light qui contiennent des édulcorants au lieu de vrai sucre. Près de 8 diabétiques sur 10 recourraient à ces édulcorants régulièrement, souvent sur les recommandations de leur médecin (dans un cas sur deux), d’après un sondage CSA réalisé pour deux partenaires, disons, étonnants : les fabricants d’édulcorants (International Sweeteners Association, ISA) eux-mêmes et… la fédération française des diabétiques. Notez au passage que Coca-Cola est membre de l’ISA. La Fédération semble avoir honte de ce soutien puisqu’elle a ôté la mention de ce partenariat de son site internet. Mais Coca-Cola France s’enorgueillit : même si aucun montant relatif à 2015 ne figure sur la liste désormais publique, la marque affirmait en décembre 2015 financer notamment la formation des patients experts accompagnant les diabétiques.
Institut Européen d’Expertise en Physiologie (IEEP) : 719.200 €
C’est l’un des plus gros versements de Coca-Cola France pour contrer, on peut le penser, la menace représentée par le rapport de l’Anses et, peut-être, la taxe sur les boissons sucrées, instaurée en 2012. Plus de 700.000 euros destinés à produire « des recherches sur les édulcorants intenses ». Difficile de savoir quelles recherches précisément. Mais on retrouve, par exemple, l’IEEP derrière une étude comparative sur les boissons avec ou sans édulcorants et leur influence sur l’insuline menée depuis 2012 par Fabrice Bonnet du CHU de Rennes (résultats non-publiés à ce jour). M. Bonnet est intervenu ouvertement au salon Dietecom à propos des édulcorants. Il en vante les « bénéfices » dans une vidéo diffusée sur la chaîne youtube des fabricants d’édulcorants (ISA).
Centre National pour le Développement du Sport (CNDS) : 1.118.926 €
Le Centre National pour le Développement du Sport – organisme sous tutelle du Ministère chargé des sports – consacre les fonds versés par son plus grand mécène, Coca-Cola, à… la lutte contre l’obésité des jeunes ! Vous êtes en surpoids ? « Faites donc un peu de sport et il n’y paraîtra plus. Mais surtout continuez d’acheter les produits Coca », est en substance ce que cet impressionnant montant nous inspire.
Association française des diététiciens nutritionnistes : 117.764 €
Peut-on compter sur les diététiciens et nutritionnistes pour nous aider à faire la part des choses concernant les sodas light et autres produits à base d’édulcorants ? Coca-Cola a en tout cas jugé nécessaire de les rétribuer pour leurs activités « scientifiques et de communication ».
Dietecom, 1er salon de la nutrition destiné aux professionnels de la santé : 124.450 €
Dietecom fait la part belle aux intervenants favorables aux édulcorants. Exemple : en 2014, un atelier parrainé par l’Association internationale pour les édulcorants (ISA, encore) voyait le Pr Marc Fantino intervenir sur le thème des recommandations hygiéno-diététiques… The place to be pour convaincre les nutritionnistes de convaincre ensuite leurs clients des bienfaits des produits light.
CreaBio : 653.798 €
On retrouve ici le professeur Marc Fantino, professeur au CHU de Dijon et co-fondateur de CreaBio, Centre de Ressources pour Etudes Appliquées Biomédicales, généreusement soutenu par Coca-Cola pour des « projets de recherche sur les édulcorants intenses ». M. Fantino, fervent défenseur de l’aspartame depuis des années, est aussi conseiller de l’association internationale des fabricants d’édulcorants (ISA). Il intervient régulièrement dans des conférences et congrès, comme les Entretiens Bichat ou Dietecom. Une publication met en avant les risques liés aux édulcorants ? Il la décrédibilisera. Ainsi, alors qu’une étude danoise (menée sur près de 60.000 femmes) concluait au risque d’accouchement prématuré accru chez les consommatrices de boissons aux édulcorants, M. Fantino s’est adressé aux sages-femmes lors des Entretiens Bichat pour venir au secours des édulcorants intenses. Lorsque l’INSERM a démontré le risque accru de diabète chez les consommateurs de light, Marc Fantino a rétorqué en publiant un article remettant en question la méthodologie des chercheurs de l’INSERM. En 2014, aux Entretiens Bichat à nouveau, il a soutenu que les édulcorants intenses avaient un évident intérêt pour les diabétiques, allant même jusqu’à vanter « une étude dont il ressort que l’utilisation d’édulcorants intenses est associée à une réduction, certes modeste mais significative, du poids, de l’indice de masse corporelle, de la masse grasse et de la circonférence abdominale ». Après avoir épluché toute la littérature scientifique sur le sujet pendant quatre ans, l’Anses concluait pourtant, elle, à l’absence de bénéfices des édulcorants intenses.
Université de Poitiers : 228.104 €
Coca-Cola passe même les portes des universités. Celle de Poitiers a perçu une coquette somme pour financer une unité d’enseignement libre visant à donner aux étudiants « toutes les clefs d’une bonne hygiène de vie ». Coca-Cola, partenaire d’une bonne hygiène de vie : sérieusement ?
Institut Pasteur de Lille : 22.500 € au moins
Jean-Michel Lecerf, chef du service nutrition de l'Institut, n’hésite pas à soutenir publiquement les édulcorants, intervient dans des conférences ou publications sponsorisées par Coca-Cola ou l’Institut européen de l’hydratation (également financé par Coca-Cola). M. Lecerf est un habitué des entretiens Bichat, la grand-messe annuelle qui voit passer des milliers de médecins de toutes spécialités qui viennent assister à 300 conférences à Paris. En 2013, dans une session consacrée aux adolescents, M. Lecerf affirmait à propos « des boissons light, c’est-à-dire aux édulcorants » que « des études suggèrent même un effet aussi favorable, voire plus, que l’eau sur la perte de poids, sans doute car elles diminuent la frustration » ! Monsieur Lecerf cite volontiers les études du CREDOC… qui compte Coca-Cola parmi ses clients.
Centre de recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de vie (CREDOC) : 85.000 €
Pour des analyses sur la consommation des boissons. Relevons celle de 2013 qui concluait que les Français les mieux hydratés sont ceux qui varient et boivent autre chose que de l’eau. Elle insistait également sur le fait que les ados ne s’hydratent pas assez. Comprenez : il faut qu’ils boivent davantage, mais pas que de l’eau.
Association des Médecins de Montagne : 17.000 €
Partenariat autour de la boisson Powerade - aux sucres et édulcorants – avec l’association englobant 320 médecins de montagne. Une façon de brouiller les pistes ?
International Prevention Research Institute, IPRI : 690.000 €
Ses chercheurs produisent notamment des études rassurantes au sujet des édulcorants comme celle qui conclut qu’une consommation quotidienne de boissons aux édulcorants est associée à l’intention de perdre du poids. Alors qu’il répertorie les noms de célèbres partenaires tels le CERN, plusieurs universités, Pfizer ou Bayer, le site internet de l’IPRI ne mentionne pas ce partenariat avec Coca-Cola.
Coca-Cola ne s’arrêtera sans doute pas là. En janvier 2016, lors de la présentation de sa nouvelle stratégie mondiale, la marque ne cachait pas vouloir doper ses références en teneur réduite en calories : light, zéro, life. Les responsbles marketing de Coca-Cola soulignaient même l’importance de promouvoir "les bénéfices" des produits Coca.
Les bénéfices ? Quels bénéfices ? Et surtout, pour qui ?
NB : la liste publiée initialement par Coca-Cola France comportait notamment une erreur signalée par foodwatch à la marque : la mention du Comité national de sport, une institution qui n’existe plus sous cette dénomination depuis les années soixante. Voici la liste corrigée et publiée par Coca-Cola France en date du 23/03/2016, après notification par foodwatch.