Glaces, sésame, sucre, conserves, épices, café : l’oxyde d’éthylène interdit est partout et la situation empire
Depuis septembre 2020, plus de 6.200 lots d’aliments ont été rappelés en France - et ça continue - parce qu’ils sont contaminés par de l’oxyde d’éthylène - un désinfectant cancérogène, mutagène et reprotoxique. Des vérifications sont aussi en cours sur la farine de caroube dans les laits infantiles mais aucune information n’a percé pour l’instant. Malheureusement, des produits traités illégalement par cette substance interdite en Europe pourraient continuer d’être vendus sans que les consommateurs n’en soient désormais informés. Cela serait totalement hors-la-loi car la règlementation européenne est claire : seuls des produits conformes et non-dangereux pour la santé peuvent être commercialisés. foodwatch lance l’alerte et exige transparence et garanties que tous les produits concernés par cette contamination seront retirés du marché de l’UE.
Il est tout simplement interdit de retrouver de l’oxyde d’éthylène dans nos aliments. Et pour cause : ce désinfectant gazeux utilisé dans des pays hors UE pour prévenir toute contamination bactériologique des matières premières (salmonelle notamment) n’est pas autorisé en Europe car il est cancérogène, mutagène et il nuit à la reproduction. Des milliers de références de produits alimentaires ont été rappelées en France (vous retrouvez la liste ici) car elles contiennent des ingrédients traités illégalement à l’oxyde d’éthylène. Ça veut dire qu’ils sont non-conformes ; ils n’auraient jamais dû se retrouver dans nos supermarchés. Suite à l’alerte lancée par la Belgique en septembre 2020 sur le réseau européen, on a d’abord découvert que les graines de sésame concernées dans nos biscuits, pains, houmous et autres plats préparés provenaient d’Inde. Aujourd’hui, la Turquie s’ajoute à la liste car la farine de caroube utilisée notamment pour les glaces est également contaminée.
Le chaos
Problème : alors que la France applique le principe de précaution qui a mené au retrait-rappel de ces milliers de référence - du sésame aux glaces en passant par le sucre, poivre, gingembre, échalotes, café, conserves, etc. -, cela n’est pas le cas de tous les Etats membres ; certains n’ayant pas du tout rappelé les produits. C’est donc le chaos à l’échelle européenne. Une réunion tenue ce mardi 29 juin à la Commission devait tenter d’harmoniser les réponses à ce nouveau scandale alimentaire. Et c’est là que cela se complique. D’après plusieurs documents que foodwatch a pu consulter, la Commission et les Etats membres envisagent sérieusement un assouplissement des rappels en laissant s’écouler sur le marché européen des produits traités illégalement à l’oxyde d’éthylène, mais pour lesquels les fabricants n’ont pas pu mesurer cette contamination lorsqu’elle est en-dessous du seuil détectable (0,02mg/kg, pour les produits fabriqués avant le 14 juin 2021). C’est un peu technique mais ce qui est clair, c’est que ce prétexte est inacceptable. Adopter au niveau européen le plus petit dénominateur commun reviendrait à considérer qu'il est finalement acceptable que ces produits non-conformes continuent à être commercialisés dans l’UE. Il n’en est pas question. Chez foodwatch, on a donc interpellé par courrier la Commission européenne et Bercy car les aliments dont la traçabilité montre qu’ils ont été traités par cette substance illégale violent clairement la réglementation européenne sur la sécurité sanitaire (UE 178/2002).
Dans les laits infantiles aussi ?
Et ce n’est malheureusement pas tout : la farine de caroube et la gomme de guar, concernées par cette contamination, sont utilisées comme épaississants dans de nombreux laits infantiles anti-régurgitation. D’après nos informations, la vérification par les autorités françaises chez les fabricants serait en cours. La Répression des fraudes admet : « Une attention particulière devra être portée aux lots de farine de caroube ou de guar destinés aux RPMM (responsables de la première mise sur le marché, ndr) de produits anti-régurgitation (en particulier laits infantiles), dans la mesure où ces matières premières sont utilisées comme épaississants dans ces produits. Une sensibilisation devra être opérée auprès de ces fabricants et il leur sera demandé la communication des noms et coordonnées de leur fournisseur de farine de caroube ou de guar ». Nous avons demandé à la Répression des fraudes une information transparente et rapide à l’attention des consommateurs et le rappel de tout produit dont la traçabilité montrerait qu’il est concerné.
Les inspecteurs de la Répression des fraudes n’y comprennent plus rien
Très mobilisés sur le terrain depuis des mois, les inspecteurs de la Répression des fraudes (DGCCRF), via leur syndicat Solidaires CCRF & SCL, s’interrogent : « Comment peut-on classer une substance comme dangereuse (cancérogène, mutagène et reprotoxique) et donc l'interdire dans l'Union européenne et ‘en même temps’ tolérer sa présence dans certains produits intégrant des ingrédients contaminés venant de pays tiers ? ». Le syndicat majoritaire au sein de la CCRF souligne : « Hasard ou coïncidence, cela fait bien les affaires de l’industrie agro-alimentaire et de certains lobbies ».
On en avale depuis des années
Les non-conformités semblent être apparues sur le marché depuis au moins 2019. Aux Pays-Bas, on évoque même 2016. Les autorités françaises reconnaissent qu’il est impossible de dater le début de toute cette affaire. En réalité, l'exposition globale de la population aux molécules d'oxyde d'éthylène est donc probablement plus élevée que ce que l'on pensait. Pourtant, il n'existe pas aujourd'hui d'évaluation d'un éventuel effet cumulatif. Pourquoi ?
S’il est difficile aujourd’hui d’évaluer le risque cumulé depuis toutes ces années, certains fabricants n’hésitent pas à minimiser les risques pour la santé alors qu’on parle bien d’une substance cancérogène, mutagène et reprotoxique qui, selon l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail), présente des risques pour la santé sans seuil de dose : « Même de très faibles niveaux d’exposition sont associés à un excès de risque de cancer ».
Scandale après scandale, on voit les principaux acteurs échapper à leurs responsabilités et à toute sanction. C’était le cas pour la viande de cheval en 2013, les œufs contaminés au fipronil en 2017. Aujourd’hui encore avec l’oxyde d’éthylène, la question de la responsabilité des fabricants, importateurs, distributeurs est totalement éludée dans cette affaire qui concerne maintenant des dizaines de pays.
Nous avons le droit de savoir. Continuez à vous mobiliser à nos côtés pour plus de transparence.
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