[INTERVIEW] Nitrites ajoutés à notre alimentation : le scandale décortiqué par Guillaume Coudray
Guillaume Coudray connaît bien le sujet des nitrites et nitrates ajoutés dans notre alimentation. Journaliste, c’est lui qui a réalisé le sujet que Cash Investigation a diffusé en 2016 sur cette question sensible. En 2017, il publie « Cochonneries. Comment la charcuterie est devenue un poison » (éd. La Découverte). Le 15 février 2023, cinq ans plus tard, son deuxième livre consacré au même sujet paraît : « Nitrites dans la charcuterie : le scandale » (éd. Harper Collins). Chez foodwatch, nous militons pour l’interdiction des nitrites depuis des années. On a donc interviewé Guillaume Coudray.
Votre nouvel ouvrage est sous-titré « L’enquête choc pour tout savoir sur les charcuteries, les nitrites et le cancer ». Qu’avez-vous découvert de nouveau depuis votre premier livre paru en 2017 ?
Guillaume Coudray : Le premier livre visait à raconter l’histoire des charcuteries industrielles. Je montrais comment l’usage des additifs nitrés (nitrate et nitrite) s’était répandu. Ce nouveau livre concerne le scandale actuel : alors que les scientifiques connaissent les dangers des additifs nitrés, pourquoi voit-on encore tant de charcuteries nitrées dans les rayons ? Aujourd’hui, le consommateur français peut trouver des charcuteries qui n’ont pas subi de traitement chimique. Mais ce n’est pas toujours facile, il y a des pièges : par exemple, peut-on se fier au label bio ? y a-t-il de faux produits « sans nitrite » ? Que sont les fameux « composés nitrosés », ces molécules cancérogènes auxquelles le nitrate et le nitrite donnent naissance lorsqu’ils réagissent avec la viande ? Ce nouveau livre donne les clefs nécessaires pour s’y retrouver, pour mieux choisir ce qu'on met dans nos assiettes et dans celles de nos enfants.
Le lobby des fabricants de charcuterie ne veut pas d’une interdiction des nitrites et nitrates ajoutés à l’alimentation en France. Pourtant, tout un tas de marques se cachant derrière la FICT (Fédération française des industriels charcutiers traiteurs) fabriquent déjà des jambons sans nitrite. Comment décortiquez-vous l’attitude de ces lobbies ?
Guillaume Coudray : Effectivement, les industriels commercialisent souvent deux gammes. L’une fabriquée avec des additifs nitrés, l’autre fabriquée sans additifs nitrés. Généralement, la fabrication des deux gammes à lieu dans la même usine, avec la même matière première, et sur les mêmes chaînes de fabrication. C’est bien la preuve qu’il est tout à fait possible de se passer des additifs nitrés. Mais certaines marques veulent faire des profits sur les deux tableaux : d’un côté, proposer de la charcuterie sans nitrite pour les consommateurs « éclairés », qui connaissent les risques. Et en parallèle, continuer à nitriter les gammes habituelles, pour gagner de l’argent sur le dos des consommateurs moins informés. Le fait que des industriels continuent à utiliser des additifs nitrés alors qu’ils peuvent s’en passer, c’est ça le cœur du scandale actuel. C’est une honte.
Le fait que des industriels continuent à utiliser des additifs nitrés alors qu’ils peuvent s’en passer, c’est ça le cœur du scandale actuel. C’est une honte.
Une « loi nitrites » a été votée en février 2022. Plus de 372 000 personnes ont signé notre pétition lancée avec la Ligue contre le cancer et Yuka pour exiger l’interdiction des nitrites ajoutés. Pourtant cette interdiction tarde à venir. Qu’est-ce qui bloque selon vous et à quel niveau ?
Guillaume Coudray : Le lobby des viandes nitrées s’est organisé pour empêcher l’interdiction des nitrites. Plusieurs cabinets de lobbying travaillent pour retarder la mise en œuvre de l’interdiction. Ils disposent de relais puissants au ministère de l’Agriculture, qui gère ce dossier en fonction des desiderata des fabricants. Certains industriels financent des études incomplètes, qui sont ensuite utilisées de façon biaisée pour faire croire aux autorités qu’il est trop tôt pour protéger les consommateurs. Ils acceptent de conduire des études qui sont ensuite utilisées de façon biaisée pour faire croire aux autorités sanitaires qu’il est trop tôt pour protéger les consommateurs. Le ministère de l’Agriculture prépare un « plan d’action », mais c’est de la poudre aux yeux : en réalité le ministère demande poliment aux industriels s’ils sont d’accord pour baisser un peu la dose de nitrites, sans remettre en cause l’usage de ces additifs. C’est une masquarade. La santé du consommateur est oubliée, la profitabilité et la compétitivité de l’industrie passent avant.
Vous avez été auditionné, comme foodwatch, par la Commission travaillant sur les nitrites à l’Assemblée nationale. C’est d’ailleurs son rapport qui a mené à la proposition de loi. Subissez-vous des pressions ? Lesquelles ?
Guillaume Coudray : Les fabricants d’aliments cancérogènes ne me font pas peur. Cela fait des années que je travaille sur le sujet, je me suis habitué à me faire traiter de tous les noms par les petits soldats de l’industrie. On a vu ce qu’il s’est passé avec l’appli Yuka, qui a été poursuivie en justice : des industriels voulaient interdire à Yuka de signaler l’impact cancérogène des additifs nitrés ! Il est possible que le livre fasse lui aussi l’objet d’un procès bâillon, nous sommes prêts à nous défendre. Car le public a le droit d’être informé sur les moyens d’éviter les composés cancérogènes.
Comment cette question est-elle perçue à l’échelle européenne ? Comment cela se passe-t-il dans d’autres pays ?
Guillaume Coudray : Le cas le plus emblématique est le Danemark : il y a plus de 15 ans, les autorités danoises ont été les premières à reconnaître que les évaluations toxicologiques des additifs nitrés ne prenaient pas en compte les risques que représentent les composés nitrosés. Les pays européens observent avec attention l’évolution de la situation française et l’action commune de Foodwatch, de Yuka et de la Ligue contre le Cancer. Le combat anti nitrite demande maintenant à être mené dans toute l’Europe. Les médias belges sont particulièrement attentifs car nos voisins belges aiment les charcuteries et sont fortement frappés par le cancer colorectal
La pétition de Foodwatch est un levier essentiel : si les citoyens se mobilisent, la vérité finira par l’emporter
Comment voyez-vous le rôle de la société civile sur cette question de santé publique qui est constamment mise en balance avec les intérêts de l’industrie agroalimentaire ?
Guillaume Coudray : C’est triste à dire, mais aujourd’hui le rapport de force est encore trop favorable aux industriels des viandes nitrées. Face à l’industrie de la malbouffe, qui fait valoir les intérêts des consommateurs ? Aujourd’hui le scandale du nitrite est sur la place publique grâce à la mobilisation menée par la coalition anti-nitrite de Foodwatch, Yuka et la Ligue contre le Cancer. Le rapport de force est déséquilibré car certains industriels mentent en toute impunité et font croire qu’il est tout bonnement impossible de se passer des additifs nitrés, alors même que les charcuteries sans additifs sont déjà dans les rayons !! C’est pourquoi la pétition de Foodwatch est un levier essentiel : si les citoyens se mobilisent, la vérité finira par l’emporter.
Acheter le livre « Nitrites dans la charcuterie : le scandale » (éd. Harper Collins).»
On a encore plein de sujets sur le feu : aidez-nous à continuer !
foodwatch est une association 100% indépendante qui refuse tout financement public ou dons d’entreprises qui pourraient présenter le moindre conflit d’intérêt. Ce sont donc vos dons qui garantissent notre liberté de parole et d’action pour enquêter, lancer l’alerte et faire bouger les choses. Ensemble, notre voix compte. Merci !