Une première juridique : le lobby des pesticides Phyteis mis en demeure par le Sénat suite à notre signalement
Face aux puissants lobbies, il y a peu d’occasions de se féliciter lorsque nous démasquons des pratiques abusives. Le 3 mai 2023 était de ces jours qu’il faut marquer d’une pierre. Le président du Sénat a mis en demeure le lobby des pesticides Phyteis, pour cause de manquement « aux obligations déontologiques ». La cause de cette mise en demeure historique ? Afin d’influencer les élu·es pour qu’ils bloquent une mesure d’interdiction d’exportation de certains pesticides bannis d’utilisation dans l’UE contenue dans la Loi Egalim 2018, il est clair que Phyteis a présenté des chiffres aussi fantaisistes qu’opaques concernant les emplois potentiellement impactés par cette mesure. Retour sur ce tour de force amorcé par foodwatch et 3 organisations.
Un signalement de la société civile à l’origine de la mise en demeure
Remontons le temps de quelques mois : en février 2023, foodwatch, Transparency International France, l’Institut Veblen et Les Amis de la Terre France alertent la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et les autorités déontologiques parlementaires d’un possible manquement du lobby des pesticides Phyteis à ses obligations déontologiques. C’est une enquête indépendante qui nous met la puce à l’oreille. Un article de la journaliste Pauline Chambost, publié initialement dans le media local Le Poulpe puis repris par Mediapart en janvier 2023.
Mais de quels manquements parle-t-on exactement ? Lors des échanges autour de la loi Egalim 2018, Phyteis a tenté d’influencer le vote des élu·es sur une mesure qui risquait de mettre à mal les intérêts de l’industrie des pesticides. Et pour cause : cette mesure portait sur l’interdiction d’exportation de certains pesticides bannis d’utilisation dans l’Union européenne. Un bel obstacle à leurs affaires que le lobby a donc tenté de bloquer.
Afin de faire pencher la balance de leur côté, Phyteis a alerté sénateur·rices et député·es sur les « 2 700 emplois directs et 1 000 emplois indirects » qui seraient mis en péril par cette interdiction. Pas de bol : la mesure est finalement bien entrée en vigueur ! Alertées par les nombres d’emplois communiqués par Phyteis, repris tels quels en séance et dans des amendements déposés par plusieurs député·es et sénateur·rices, et même relayés par l’exécutif, nos 4 organisations ont décidé d’effectuer en février 2023 un signalement auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et des autorités déontologiques parlementaires.
Un nombre d’emplois… sorti du chapeau
En mai 2023, dans un courrier adressé à nos quatre organisations le 3 mai 2023, le Président du Sénat, Gérard Larcher, confirme nos suspicions : « En manquant de rigueur et de prudence dans ses contacts avec les sénateurs, Phyteis n’a pas respecté son devoir de probité, au sens de l’article 3 du code de conduite applicable aux représentants d’intérêts au Sénat ». Dans l’argumentaire détaillé, il est clair que Phyteis a « manqué aux obligations déontologiques auxquelles les représentants d’intérêt sont assujettis».
De plus, Phyteis « n’a pas jugé nécessaire d’informer les sénateurs sur les hypothèses et les incertitudes entourant l’évaluation communiquée par ses soins » et a refusé de fournir des informations plus détaillées aux sénateurs en « se prévalant de sa Charte du droit de la concurrence et du secret des affaires ». En bref, Phyteis a communiqué aux député·es et sénateur·rices des chiffres sortis du chapeau qu’il a ensuite été incapable de justifier…
La mise en demeure de Phyteis : un signal fort à l’encontre des lobbies
Pour foodwatch, Transparency International France, l’Institut Veblen et Les Amis de la Terre France, cette mise en demeure de Phyteis par le Sénat est une bonne nouvelle et un signal fort à l’encontre de tous les lobbies : « Cette mise en demeure, rendue publique, crée un précédent. Phyteis n’a pas hésité à user d’un chantage à l’emploi fondé sur une méthodologie fantaisiste pour protéger ses affaires, au mépris de la santé publique et de l’environnement».
Grâce au travail collectif de nos 4 organisations, c’est encore une fois la société civile qui tire la sonnette d’alarme et attire le regard des autorités sur les pratiques malhonnêtes de lobbies prêts à tout pour défendre les intérêts de leur industrie. Il est crucial que le débat public soit mené en toute transparence, et les lobbies doivent avoir en tête qu’ils ne peuvent pas simplement inventer des arguments pour influencer les élu·es, car en tant que vigie citoyenne, nous les avons à l’œil. Nous demanderons des comptes à chaque fois que nous jugerons cela nécessaire !
Face à cette perte de crédibilité de son discours, Phyteis est d’autant plus remis en question que des interdictions similaires d’exportations de produits phytosanitaires sont actuellement en discussion dans plusieurs pays européens et au niveau communautaire.
Nos quatre organisations se réjouissent que cette mise en demeure soit rendue publique – elle est publiée sur le site du Sénat. Pour qu’elle soit efficace, il est en effet essentiel que tout le monde puisse accéder aux arguments qui la justifient et aux (non) réponses apportées par Phyteis. Pour autant, il est important de rappeler que la mise en demeure par le président du Sénat est une sanction déontologique et non pénale. Il n’y a donc pas d’amendes, ou de peine d’emprisonnement.
De son côté, la HATVP avait déjà indiqué fin février qu’une investigation est en cours concernant les communications de Phyteis auprès des membres de l’exécutif. Elle devrait rendre ses conclusions prochainement. Nous vous tiendrons au courant !
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