Colère du monde agricole et précarité alimentaire : les deux faces d’un système injuste à rééquilibrer d’urgence
« On récolte ce que l’on sème », dit l’adage. Pour foodwatch, la colère du monde agricole fait écho à la violence de notre système alimentaire : l’inflation a plongé nombre d’exploitant·es et des millions de consommatrices et consommateurs dans une précarité insoutenable, alors qu’au milieu, les géants de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution dégagent des marges opaques et accumulent des profits indécents. Il est temps de s’attaquer aux racines de ces inégalités pour qu’une alimentation saine, choisie et abordable devienne une réalité pour toutes et tous. Décryptage.
Par leur mainmise sur l’offre en rayons, les mastodontes de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution portent une lourde responsabilité dans la crise actuelle : économique, de santé publique et environnementale. C’est la triple peine pour les agriculteur·rices comme pour les consommateur·rices.
Des personnes qui produisent notre alimentation à celles qui la consomment au quotidien, aux deux bouts de la chaîne, on a faim. Un ménage agricole sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. En milieu rural, 55% de la population affirment avoir déjà renoncé à acheter des produits alimentaires, faute de moyens, selon une étude de Familles rurales. Loin des exploitations agricoles, face à la flambée des prix, près d’un·e Français·e sur trois déclare aussi sauter un repas par manque d’argent. Tandis qu’on souffre dans les champs et dans les assiettes, au milieu de la chaîne, les géants de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution font la pluie et le beau temps.
Soyons clairs : les mastodontes de l’industrie alimentaire et de la grande distribution ont une lourde responsabilité dans les dysfonctionnements de notre système agroalimentaire. Leur mainmise sur le marché leur permet non seulement d’imposer leurs conditions aux productrices et producteurs, mais aussi d’utiliser leur pouvoir d’influence sur les pratiques de consommation, puisque ce sont eux qui décident ce qu’ils mettent dans les rayons et à quel prix. Avec foodwatch appelez le gouvernement à désarmer les distributeurs et l’industrie agroalimentaire en levant l’opacité sur les prix et les marges.
Il est urgent de sortir de ce système indécent qui sème la précarité aux deux bouts de la chaîne, pendant que géants de l'industrie agroalimentaire et de la grande distribution font des profits dans le dos et sur le dos des agriculteurs et des consommateurs, en toute impunité.Directrice Générale foodwatch France
Problème n°1, économique : où est passé l’argent de l’inflation ?
En deux ans, l’inflation a fait grimper les prix de l’alimentaire de plus de 20%. C’est dur quand on passe à la caisse, mais c’est encore plus dur à avaler quand il devient clair que géants de l’industrie agroalimentaire et les enseignes de la grande distribution, qui se renvoient la responsabilité depuis des mois, ont tous deux profité et alimenté la flambée des prix.
La marge brute de l’industrie agroalimentaire est passée de 28 à 48 % entre fin 2021 et le 2e trimestre de 2023 : un niveau historique ! Celle de la grande distribution a elle aussi augmenté sur certains rayons de première nécessité comme les pâtes, les légumes ou encore le lait. Les revenus des agriculteurs ou des consommateurs n’ont bien sûr pas suivi cette même courbe vertigineuse.
Les institutions financières comme l’Autorité de la concurrence, le Fonds Monétaire international (FMI) et la Banque centrale européenne ont dénoncé des profits excessifs, avec des envolées de prix qui allaient bien au-delà de de l’augmentation des coûts de production. Le Sénat a aussi accusé la grande distribution dans son rapport de juillet 2022 d’avoir pu « accroître sa marge en jouant sur l’ignorance du consommateur» .
En septembre 2023, Emmanuel Macron avait promis d’agir. Mais rien ne bouge ; d’où la mobilisation citoyenne lancée par foodwatch, Familles Rurales, UFC-Que Choisir et la CLCV pour que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités et imposent enfin aux géants de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution :
- La transparence totale sur les marges qu’ils réalisent, produit par produit ;
- Des mesures claires et efficaces pour empêcher l’explosion de marges extravagantes sur les produits alimentaires essentiels, sains et durables.
Difficile de rivaliser avec les importations d’aliments produits à bas coût.
Les producteurs et productrices sont pris en étau entre le rouleau compresseur des géants de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution qui imposent leurs conditions et leurs prix, et des accords de libre-échange qui déversent sur le marché des tonnes de produits importés qui ne respectent pas les mêmes normes.
Le premier ministre, Gabriel Attal, a affirmé dans son discours du 26 janvier 2024 visant à rassurer le monde agricole que la France était opposée à l’accord entre l’UE et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay). Le président, Emmanuel Macron, s’était déjà engagé en 2020 devant la Convention citoyenne pour le Climat à « stopper net » les négociations de cet accord. Elles se poursuivent malgré tout et d’autres sont en cours de négociation.
L’une des dérives de ces accords de commerce est d’augmenter les quantités de produits agricoles et alimentaires importés dans l’UE et l’impact social et écologique de ces importations, dans les pays de production comme chez nous. C’est bien sûr notamment le cas avec l’accord UE-Mercosur (bétail, soja OGM etc.) mais aussi par exemple avec l’accord UE-Nouvelle Zélande ratifié fin 2023, qui prévoit de larges quotas d’importations qui verront viandes, fromages, oignons, pommes, vins, etc. traverser les océans.
Or les normes sanitaires et environnementales ne sont souvent pas les mêmes entre les produits importés et nos produits locaux. Ainsi, le Canada utilise encore certaines farines animales et des antibiotiques comme activateurs de croissance dans ses élevages, tout comme le Brésil, alors que c’est interdit en Europe. Le Canada a aussi recours à 42 molécules de pesticides proscrites en Europe, et le Brésil en autorise des dizaines en plus.
Problème n°2, les normes environnementales : le bouc émissaire
Sous la pression, le premier ministre Gabriel Attal a voulu lâcher du lest dans son discours « sur la paille » du 26 janvier 2024 : fin de l’augmentation du prix du gazole non routier agricole, aide d’urgence de 50 millions d’euros à la filière bio, mesures de simplification immédiate. Le Premier ministre s’est même empressé d’annoncer la révision de normes environnementales, sans toutefois proposer de cap clair au monde agricole.
Cette politique est une fuite en avant. Les normes environnementales, dont beaucoup ont d‘ailleurs récemment été bloquées à Bruxelles sous la pression des lobbies, ne font pas partie du problème mais de la solution. Il est nécessaire d’accompagner efficacement agricultrices et agriculteurs dans la transition. C’est cette transition sociale et environnementale, pour préserver la santé des agriculteurs, des citoyens et de l'environnement, qui permettra d’assurer la pérennité des systèmes agricoles et alimentaires sur le long terme et donc garantir notre souveraineté alimentaire.
La disparition de la biodiversité n’est pas seulement une affaire de spécialistes, de scientifiques ou de militants. C’est un danger pour notre capacité à nous nourrir. Un risque économique majeur pour des secteurs entiers, notamment l’agriculture.Première ministre, janvier 2024
Problème n°3, santé publique et offre : une mainmise sur le marché qui influence la production agricole et contraint les choix des consommateurs
Là encore, géants de l’industrie agroalimentaire et surtout de la grande distribution dictent les règles du marché, et sont loin de favoriser l’accès à des produits sains et durables pour toutes et tous.
Du point de vue de la santé, dans le système actuel qui impose une offre alimentaire largement orientée, les produits les plus accessibles sont trop souvent synonymes de malbouffe - produits ultra-transformés, bon marché, riches en matières grasses, en sucres et en sel, qui sont de véritables bombes caloriques, pauvres en fibres, en vitamines et en minéraux-, tandis que les prix des fruits et légumes, par exemple, s’envolent. Pendant le pic de l’inflation, la grande distribution ne s’est pas privée d’augmenter ses marges sur certains rayons de première nécessité comme les pâtes, les légumes ou encore le lait.
Et vous, nous, citoyen·nes, payons à la caisse des supermarchés mais assumons aussi, avec nos impôts, les coûts exorbitants - de santé, sociaux, environnementaux - de ce système alimentaire.
Pour aller plus loin
Toutes les sources des chiffres utilisés dans cet article sont à retrouver dans ce décryptage de foodwatch : Inflation, coûts cachés, précarité, santé : un système alimentaire à la derive
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